
Façon de passage de la démocratie à la tyrannie via la démagocratie (qui flatte d'un côté et consiste de l'autre à se contenter en tout d'un supposé "consentement")…
… phénomène remarqué dès la plus haute antiquité…
"Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants,
Lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles,
Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter,
Lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne,
Alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie."
(Platon, La République, extrait et résumé du liv. VIII, 562-569. Cf. infra les commentaires)
Mise en garde relue dans le seconde épître à Timothée avertissant sur…
"des temps difficiles.
Les hommes seront épris d’eux-mêmes, attachés à l’argent, vaniteux, arrogants, médisants, rebelles à leurs parents, ingrats, immoraux,
insensibles, déloyaux, calomniateurs, intempérants, cruels, ennemis des gens de bien,
traîtres, emportés, enflés d’orgueil, aimant moins Dieu que leurs plaisirs,
ayant l’apparence de la piété, mais reniant ce qui en fait la force."
(2 Ti 3, 1-5)
… "en toute beauté, le début de la tyrannie."
Et, de plus, nous avons les « mauvais échansons » (La République, VIII, 562, c) et « l’amas compact de tous ces désordres » ! Je viens de relire la République, (VIII,562,563) parce que, bien sûr, le texte original est beaucoup plus long et plus complexe que cette traduction (réécriture) bien connue, mais qui est assez fidèle à l’original que j’ai sous les yeux (Pléiade, Œuvres complètes, tome I). Le texte est savoureux :
RépondreSupprimer« Voici, dis-je : le père prend l’habitude de se rendre semblable à l’enfant et à avoir peur de ses fils ; le fils, de son côté, de se rendre semblable au père et à ne respecter ni craindre ses parents, et cela pour être libres ; l’étranger domicilié(a) de se mettre à égalité avec le bourgeois, et le bourgeois avec l’étranger domicilié, et pareillement, l’étranger proprement dit […] A quoi viennent se joindre, repris-je, d’autres petits maux, tels que ceux-ci : dans un pareil État, le maître a peur de l’écolier et il l’adule, l’écolier a le mépris du maître, et de même à l’égard du pédagogue, d’une façon générale, les jeunes donnent l’air d’être les vieux, et ils leur tiennent tête en paroles comme en actes, tandis que les vieillards, pleins de condescendance pour les farces de la jeunesse, (b) se gorgent de badinage à l’imitation de cette jeunesse, afin de ne pas passer pour des gens moroses et pour des despotes. »
Je passe (IVème siècle avant JC) sur « …les hommes qu’on a achetés, les femmes qu’on a achetées ne sont nullement moins libres que ceux qui se les sont payés ! » et sur « le degré d’égalitarisme et de liberté » dans le couple. Etc. « …réfléchis-tu à quel point l’âme des citoyens en est rendue impressionnable ; si bien que toute servitude que l’un d’eux voudrait s’imposer à lui-même, l’irrite et lui est insupportable ?[…] ils ne se préoccupent pas davantage des lois écrites que de celles qui ne le sont pas, afin que, d’aucune manière, personne ne soit pour eux un maître (e ) […] Voilà donc, mon cher, repris-je, le point de départ, tellement beau et fier, de la naissance d’une tyrannie. » Rappelons-nous : c’est la démocratie athénienne qui condamne Socrate à mort…Erreur tragique d’un peuple, livré à l’émotion, flatté par les démagogues… La cité est le reflet de l’âme : le père ne commande plus au fils, le maître n’est plus respecté par l’élève et le citoyen ne respecte plus la loi. Et les limites morales ont disparu. Platon insiste sur l’excès de liberté, Montesquieu sur la perte de la vertu civique, Tocqueville sur le repli sur soi et Arendt sur la perte d’un monde commun, terreau de la tyrannie moderne. J’ai peur que nous ne cachions toutes les cases, comme l’on dit aujourd’hui !
Merci Jean-Paul, pour les précisions et développements
SupprimerC'est vraiment intéressant...
RépondreSupprimerCe résumé/actualisation en effet très répandu du développement de Platon - auquel fait écho le passage de 2 Timothée - me semble en effet, parce qu'actualisant, bien pertinent, gardant du passage de "La République" ce qui s'en dégage au-delà de sa stricte insertion dans son temps, lui faisant rejoindre (avec déjà 2 Tim) une intemporalité en effet répercutée par Montesquieu, Tocqueville, Arendt, et tant d'autres, jusqu'à Kant (et au-delà) et son exigence de prise au sérieux de l'intériorité (mon art. précédent) dont ces deux brèves citations se sont voulues une illustration - d'autant plus troublante et actuelle qu'on a là des propos deux fois millénaires... "Nihil novi sub sole" dixit Ecclesiastes...
RépondreSupprimer... Actualité du constat final de cette section de Platon (Rép. VIII, 569, trad. L. Robin, Pléiade) : « Et voici, à ce qu'il semble, ce qui, d'un commun accord, doit constituer la nature d'une tyrannie : comme dit le proverbe, le peuple, en voulant éviter la fumée, est tombé dans le feu : [...] à la place de sa fameuse liberté, aussi large que malencontreuse, il s'est vêtu d'esclavage, et du plus intolérable, du plus amer : [...] en partant de la démocratie, on passe à une tyrannie [...] ? Hé oui, dit-il [Glaucon à Socrate]. »
RépondreSupprimerTroublante actualité, permanente actualité, de ce qui aujourd'hui... semble nous pendre au nez, des deux côtés de l'Atlantique... comme c'est déjà advenu en des lieux de la planète où ça nous semble évident, "mais pas nous !" aurait pu objecter Glaucon à Socrate avant leur dialogue et l'implacable démonstration de Socrate...