
Quand les Iraniennes se dévoilent, que dévoilent-elles de l’Histoire ?
Le combat idéologique que Fukuyama pensait terminé le 9 novembre 1989 avec la chute du Mur de Berlin a repris de plus belle… lit-on couramment. Ainsi nous ne serions pas parvenus à la “Fin de l'Histoire”, mais nous serions plutôt dans une période de “retour de l'Histoire” marquée par la remise en cause de la démocratie libérale par de nouveaux compétiteurs idéologiques… sauf si la “fin de l’histoire” de 1989 avait juste imité une fin qui aurait bien eu lieu avec la bataille de Iéna le 14 octobre 1806 !… Retour à la bataille de Iéna mais dans une relecture désabusée du devenir dernier homme… l'hypothèse de Fukuyama retournant alors à la source hégélienne de la “Fin de l'Histoire” (la Bataille de Iéna), la victoire apparente de la démocratie libérale en 1989 étant comme une répétition ou une confirmation désabusée de l'événement originel. Le véritable "point final" philosophique – débouchant sur le "Dernier Homme" – se serait produit beaucoup plus tôt.
Pour les hégéliens (et Fukuyama qui s'inspire de Kojève), la Bataille de Iéna, où Napoléon vainquit la Prusse le 14 octobre 1806, est considérée comme le moment où l'Esprit (la Raison, la Liberté) s'est réalisé dans le monde avec l'exportation des principes de la Révolution française (liberté individuelle et reconnaissance universelle) à travers l'Europe. Peut-être est-ce cela, cette hypothèse de relecture, qu’en se dévoilant, dévoilent aujourd'hui les Iraniennes.
À Iéna, le principe de l'État rationnel, fondé sur la liberté et la reconnaissance universelle (égalité en droit), a vaincu l'Ancien Régime (l’irrationnel) partout en Europe.
Pour Hegel, cela signifiait que l'idéal de l'État avait été trouvé, mettant fin à la lutte idéologique fondamentale.
Si la Fin de l'Histoire est bien 1806, alors toute l'histoire qui suit (y compris les guerres mondiales, le communisme, 1989, et suites jusqu’à aujourd’hui) n'est qu'une longue et douloureuse post-histoire où l'idéal désiré est déjà connu (au-delà de ses contradictions, comme celles dévoilées par Marx, et aussi, déjà avant lui, par Schopenhauer, puis Kierkegaard) et où les luttes ne sont que des tentatives de le réaliser ou des retours de flamme archaïques.
Dans cette optique, l'échec du communisme en 1989 n'est pas la victoire de la démocratie libérale, mais la simple disparition d’un des derniers souhaits d’offrir une reconnaissance supérieure. L'enthousiasme de 1989 n'était qu'une imitation de la vraie Révolution, une simple clarification technique. Elle a confirmé que le seul modèle survivant était bien celui dont le principe avait été établi à Iéna, mais sans la ferveur idéologique de l'époque napoléonienne.
La vraie victoire de 1989 est alors juste celle du "Dernier Homme" (« Si le surhomme nietzschéen est resté de l'ordre du mythe, le dernier des hommes, en revanche, s'est réalisé historiquement » dixit Cioran). Une fois le communisme éliminé, il ne reste plus rien pour défier la vie de consommation et de confort. La fin de l'Histoire n'est plus une promesse d'apothéose, mais une réalité sociologique faite d'apathie et d'absence d'idéal héroïque.
Si la Fin de l'Histoire est 1806, alors les nouvelles révoltes que nous voyons aujourd'hui (islamisme, populisme, radicalismes d’ultra-gauche, ou d’ultra-droite) ne sont plus des luttes pour déterminer le meilleur régime (l'enjeu d'Iéna), mais des révoltes psychologiques contre l'ennui et le manque de sens du “Dernier Homme” : c'est la révolte du Thymos (le désir de reconnaissance) insatisfait contre la vie pacifique et consommée de la post-histoire, demandant juste qu’on la laisse tranquillement s’auto-détruire en détruisant la planète…
L'islamisme, le radicalisme, etc., deviennent des échappatoires eschatologiques pour ceux qui refusent d'accepter qu'aucune cause ne vaille plus la peine de mourir depuis la confirmation désabusée de 1989.
Illustration tragique : De “Brazil” à “Chicken for KFC”…
RP
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