vendredi 30 octobre 2020

Caricature

… se moquant d'un chrétien…

"Alexamène adore son Dieu", graffiti romain, entre le Ier et le IIIe s. ap. JC.



« À chaque attentat islamiste en France, des esprits chagrins expliquent que, sans les caricatures de Charlie Hebdo et le diktat insupportable d’une laïcité qui méprise les religions en général et l’islam en particulier, on n’en serait pas là. On en déduira donc que si les terroristes islamistes ont frappé à Vienne, c’est à cause des dessins blasphématoires qui n’ont jamais été publiés en Autriche et de la laïcité inexistante dans ce pays. Empreints d’une lucidité qui force l’admiration, ces mêmes grands personnages dénoncent également les prétendues restrictions au port du voile, ou l’interdiction de la burqa, insupportable provocation à l’égard des musulmanes. On en conclura que si Daech a frappé à l’université de Kaboul, c’est pour faire de la pub à la burqa, pourtant obligatoire en Afghanistan, en vertu du droit de la femme à vivre derrière un grillage. Dès qu’un attentat a lieu au nom d’une idéologie ayant pris en otage une religion, il est des gens qui s’empressent d’absoudre l’islamisme, et de nier ses responsabilités intrinsèques pour chercher des coupables dans les pays visés, si différents soient-ils.
Une telle constance dans l’aveuglement mérite le respect. » (Jack Dion, « L’islamisme pour les nuls », in Marianne, 6-12/11/20)

Sans oublier que « Le déni d'humiliation fait le lit de la violence » (Olivier Abel, in Réforme n° 3872, 5 nov. 2020, p. 5 — cf. aussi ici)

jeudi 22 octobre 2020

1905

« D'autres fois, l'oncle attaquait des gens qui s'appelaient "les radicots". Il y avait un M. Comble, qui était un radicot, et sur lequel il était difficile de se faire une opinion : mon père disait que ce radicot était un grand honnête homme, tandis que l'oncle le nommait "la fine fleur de la canaille" et offrait de signer cette déclaration sur papier timbré. Il ajoutait que ce M. Comble était le chef d'une bande de malfaiteurs, qui s'appelaient les "framassons". » (Marcel Pagnol, La Gloire de mon père, 1957) 


« Mais ces escarmouches amicales s’arrêtaient là, et jamais on n’abordait le grand sujet, sinon par des allusions discrètes : l’oncle Jules allait à la messe ! Lorsque mon père apprit – par une confidence de tante Rose à ma mère – qu’il communiait deux fois par mois, il en fut positivement consterné, et déclara que "c’était un comble". Ma mère alors le supplia d’admettre cet état de choses, et de renoncer, devant l’oncle, à son petit répertoire de plaisanteries sur les curés, et en particulier, à une chansonnette qui célébrait les exploits aéronautiques du vénérable père Dupanloup.
"Crois-tu qu’il se fâcherait vraiment ?
– Je suis sûre qu’il ne remettrait plus les pieds chez nous, et qu’il défendrait à ma sœur de me fréquenter." Mon père secoua tristement la tête, et soudain, d’une voix furieuse, il s’écria :
"Voilà ! Voilà l'intolérance de ces fanatiques ! Est-ce que je l'empêche, moi, d'aller manger son Dieu tous les dimanches ? Est-ce que je te défends de fréquenter ta sœur parce qu'elle est mariée à un homme qui croit que le Créateur de l'Univers descend en personne, tous les dimanches, dans cent mille gobelets ? Eh bien, je veux lui montrer ma largeur d'esprit. Je le ridiculiserai par mon libéralisme. Non, je ne lui parlerai pas de l'Inquisition, ni de Calas, ni de Jean Huss, ni de tant d'autres que l'Église envoya au bûcher ; je ne dirai rien des papes Borgia, ni de la papesse Jeanne ! Et même s'il essaie de me prêcher les conceptions puériles d'une religion aussi enfantine que les contes de ma grand-mère, je lui répondrai poliment, et je me contenterai d'en rigoler doucement dans ma barbe !" » (Marcel Pagnol, Ibid.)

« Ces anti-cléricaux avaient des âmes de missionnaires. Pour faire échec à "Monsieur le Curé", ils vivaient eux-mêmes comme des saints, et leur morale était aussi inflexible que celles des premiers puritains. » (Marcel Pagnol, Ibid.)

jeudi 15 octobre 2020

Éternité du futur antérieur

« Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins. Cinq ans plus tard, je marchais derrière une voiture noire, dont les roues étaient si hautes que je voyais les sabots des chevaux. J’étais vêtu de noir, et la main du petit Paul serrait la mienne de toutes ses forces, on emportait notre mère pour toujours. De cette terrible journée, je n’ai aucun autre souvenir, comme si mes quinze ans avaient refusé d’admettre la force d’un chagrin qui pouvait me tuer. Pendant des années, jusqu’à l’âge d’homme, nous n’avons jamais eu le courage de parler d’elle. Puis, le petit Paul est devenu très grand. Il me dépassait de toute la tête, et il portait une barbe en collier, une barbe de soie dorée. Dans les collines de l’Etoile, qu’il n’a jamais voulu quitter, il menait son troupeau de chèvres ; le soir, il faisait des fromages dans des tamis de joncs tressés, puis sur le gravier des garrigues, il dormait, roulé dans son grand manteau : il fut le dernier chevrier de Virgile. Mais à trente ans, dans une clinique, il mourut. Sur la table de nuit, il y avait son harmonica. Mon cher Lili ne l’accompagna pas avec moi au petit cimetière de La Treille, car il l’y attendait depuis des années, sous un carré d’immortelles : en 1917, dans une noire forêt du Nord, une balle en plein front avait tranché sa jeune vie, et il était tombé sous la pluie, sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms… Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants. » (Marcel Pagnol, Le Château de ma mère)

*

« La bibliothèque se perpétuera : éclairée, solitaire, infinie, parfaitement immobile, armée de volumes précieux, inutile, incorruptible, secrète. » (Borges, La bibliothèque de Babel)




« On se demande pourquoi cette absurde succession d’événements sans finalité transcendante qu’on appelle une vie humaine et dont le seul aboutissement parait être le néant ? Paradoxalement, c’est la mort elle-même, décidant pour l’éternité, qui à jamais nous sauve de l’inexistence. Entre le non-être et n’être plus, il y a toute la distance infinie de l’avoir été. Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été. Désormais, ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu est son viatique pour l’éternité. Qui sait, l’unicité d’une vie irréversible et irrévocablement révolue est justement ce qui à l’instant de la mort nous sauve du non-être. Elle nous repêche elle-même dans les eaux noires du néant. Elle nous retient au bord de la nuit. Elle nous donne enfin de n’être pas englouti à jamais dans le lac des ténèbres. » (Vladimir Jankélévitch, L'Irréversible et la nostalgie)