jeudi 17 juillet 2025

Sur la dépigmentation des Sapiens européens



Inconsistance du racisme mélanophobe en regard des acquis des analyses ADN récentes de nos ancêtres finalement très proches de nous dans le temps. Sortis d’Afrique il y a 50 000 à 45 000 ans env., les Sapiens arrivés au Proche-Orient, au Maghreb et en Europe étaient “noirs”, de la même couleur de peau que leurs congénères africains sud-sahariens, cela jusqu’à tout récemment. Le racisme mélanophobe, apparu quelques brefs siècles après le “blanchissement” des ex-Africains (racisme consécutif aux déportations esclavagistes trans-sahariennes et trans-atlantiques), prend une nette allure d'absurdité, une façon de mépris de ses propres parents ! Autre façon de réponse à la question du légiste à Jésus : “Qui est mon prochain ?” (Luc 10, 25-37)

La dépigmentation, le “blanchissement” tardif des Sapiens non-sud-sahariens, fait référence au phénomène selon lequel les premiers Homo sapiens arrivés en Europe il y a environ 45 000 ans ne possédaient pas encore les adaptations génétiques, telles que la peau claire, que l’on observe actuellement chez la majorité des Européens modernes. Selon les données génétiques et archéologiques, la dépigmentation de la peau est un phénomène relativement récent à l’échelle de l’histoire humaine. Les analyses montrent que les premiers Homo sapiens arrivés en Europe (il y a env. 45 000 ans) avaient une peau foncée, et que la majorité des populations non-sud-sahariennes sont restées à peau foncée jusqu’à une période relativement récente. Par exemple, il y a 9 000 à 10 000 ans, des individus comme l'homme de Cheddar (dans l’Angleterre actuelle) avaient la peau foncée.

Les premiers Homo sapiens européens présentaient une pigmentation foncée, similaire à celle présente en Afrique d’où ils venaient : les allèles associés à une peau claire ne sont devenus majoritaires dans les populations européennes qu’à une période beaucoup plus tardive, notamment après la révolution néolithique et l'arrivée d'agriculteurs venus du Proche-Orient. Ce processus s'est produit il y a environ 8 000 à 7 000 ans pour certains allèles majeurs, bien après la première arrivée de notre espèce sur le continent.

La date de “blanchissement”, de la perte de la mélanine des Sapiens européens, est aujourd'hui connue grâce à l'analyse de l'ADN ancien extrait de restes humains, combinée à des méthodes de datation comme le carbone 14. Les généticiens recherchent particulièrement la présence de gènes liés à la pigmentation claire (notamment les variantes des gènes SLC24A5, SLC45A2 et HERC2) dans les squelettes préhistoriques.

Les gènes associés à la peau claire sont apparus et ont été détectés principalement grâce à l’ADN datant du Néolithique (moins de 10 000 ans) et se sont répandus lors de diverses vagues migratoires, notamment avec l'arrivée des agriculteurs venus d’Anatolie (il y a env. 10 000 ans) et, plus encore, avec les migrations des éleveurs Yamnaya, un peuple de pasteurs cavaliers originaires des steppes au nord de la mer Noire, dans les actuelles Russie et Ukraine, qui ont migré massivement vers l’Europe il y a environ 4 800 à 5 000 ans. Ils sont aujourd'hui reconnus comme l’un des groupes ayant contribué de façon majeure à la formation génétique des Européens modernes.

Leur arrivée en Europe occidentale a constitué une des plus grandes migrations préhistoriques, entraînant un remaniement majeur du patrimoine génétique européen. On estime que, dans certaines populations du nord-ouest de l’Europe (comme les Norvégiens, Écossais, Irlandais, Islandais), l'ADN Yamnaya compose jusqu’à 50% de l’ascendance actuelle, et environ un tiers chez les Français.

Du point de vue physique, les études génétiques de restes Yamnaya montrent qu'ils avaient généralement les yeux marron, les cheveux foncés et une peau plus claire que celle des chasseurs-cueilleurs mésolithiques européens, mais plus foncée que celle des Européens du nord actuels. Les Yamnaya ont également contribué, via la diffusion de certains gènes, au développement de la peau plus claire et de certains traits comme des yeux plus clairs chez les Européens modernes — mais eux-mêmes n’étaient généralement pas blonds ni aux yeux bleus.

Les études récentes sur des centaines d'individus anciens estiment que la peau claire ne devient dominante en Europe qu’entre le Bronze et l’âge du Fer, soit entre environ 4 000 et 2 000 ans avant aujourd’hui. Encore il y a 5 000 ans, une majorité d’Européens avaient la peau intermédiaire à foncée.

Cela s’appuie donc :
- sur l’analyse de la fréquence des allèles responsables de la dépigmentation chez des individus datés précisément,
- la corrélation entre ces fréquences génétiques et l’âge des restes humains,
- la comparaison des phénotypes reconstitués sur plusieurs millénaires.

On connaît donc la date du “blanchissement” grâce au séquençage de l’ADN ancien et à l’identification des gènes de la dépigmentation sur des os ou dents datés. Ce processus s’est fait progressivement, devenant majoritaire seulement il y a entre 4 000 et 2 000 ans.

*

La dépigmentation progressive de la peau des populations européennes (y compris après l’arrivée des Yamnaya) est directement liée à la synthèse de la vitamine D. Dans les régions au faible ensoleillement comme l’Europe du Nord, une peau claire permet d’absorber plus de rayons UVB, favorisant la transformation du 7-déhydrocholestérol en vitamine D dans la peau.

Chez les premiers Homo sapiens d’Europe, la consommation abondante de poissons et de gibier riches en vitamine D permettait à la peau foncée de persister, car l’alimentation compensait le manque d’ensoleillement — la mélanine protégeant au contraire du trop vif rayonnement en UV des régions très ensoleillées. Le besoin évolutif d’avoir une peau claire n’était donc pas pressant tant que le régime alimentaire assurait un bon apport en vitamine D.

Le tournant s’opère avec l’avènement de l’agriculture, il y a environ 8 000 à 6 000 ans, lorsque l’alimentation devient principalement basée sur des céréales très pauvres en vitamine D. Cette modification majeure du régime a créé une pression sélective en faveur des individus capables de synthétiser plus efficacement la vitamine D à partir de la lumière solaire, donc en faveur des porteurs de gènes de dépigmentation (tels que SLC24A5 et SLC45A2).

C’est pourquoi, après l’arrivée de nouvelles populations comme les Yamnaya (qui ont introduit ou accru certains allèles de dépigmentation), la peau claire devient progressivement dominante : la sélection naturelle privilégie ceux qui peuvent mieux synthétiser cette vitamine essentielle, particulièrement dans les zones les moins ensoleillées.

En résumé, l’adaptation à la carence en vitamine D explique en grande partie pourquoi la sélection de la peau claire s’est accentuée en Europe, surtout après des changements alimentaires et migratoires majeurs.

*

Et les Gaulois ? L’arrivée des Celtes en Europe occidentale et leur expansion sont des processus étalés dans le temps et l’espace, différant selon les régions. Elle se déroule principalement entre 1200 et 400 av. J.-C., avec une diffusion maximale de leurs traditions et langues à la fin de l’âge du fer, avant le déclin progressif lié à la conquête romaine.

Les données génétiques récentes indiquent que les premiers Celtes avaient pour la plupart une peau intermédiaire à foncée comparée aux Européens du Nord actuels. Selon une étude publiée en 2025 analysant l’ADN de 348 individus anciens, la majorité des Européens avaient encore une peau foncée il y a seulement 3 000 ans, soit à l’époque de l’expansion celtique en Europe.

Il ressort de ces analyses que la pigmentation claire ne devient vraiment dominante qu’à l’âge du Fer, avec de fortes variations régionales. Au moment de la migration celtique, l’écrasante majorité des populations (y compris celtiques) possédaient encore une peau relativement sombre ou intermédiaire.

Seule une minorité présentait déjà une peau très claire : l’étude parle de 8% d’individus avec une pigmentation claire il y a 3 000 ans. Les populations du nord et du centre de l’Europe commencent alors à voir progresser les allèles de dépigmentation. La généralisation de la peau claire a donc été progressive et postérieure à l’expansion celtique ; ce n’est qu’aux plus récentes phases de l’âge du Fer que la majorité dans le nord de l’Europe devient à peau claire, tandis que la diversité de pigmentation persiste au sud et à l’ouest.

Concernant les stéréotypes historiques attribuant une chevelure rousse ou blonde aux Gaulois, au temps des premiers Celtes, la majorité avait une peau foncée à intermédiaire, bien plus sombre que celle des Européens du Nord actuels, avec une très faible proportion de peau claire, même si des mutations responsables de cheveux clairs étaient probablement présentes à faible fréquence dans certaines populations. Ce n’est que plus tard, sous l’influence des migrations et de la sélection naturelle, que la pigmentation claire s’est répandue en Europe du nord et centrale.

Finalement, selon une étude génétique récente, ce n'est qu’au IIIᵉ ou Vᵉ siècle après J.-C. que plus de la moitié de la population européenne acquiert une peau claire, marquant une transition lente et tardive dans l’histoire du continent. Au IIIᵉ siècle et au début du IVᵉ siècle, la majorité des Européens gardaient une pigmentation foncée, surtout dans le sud et l’ouest. Si le processus s’est fait progressivement, devenant majoritaire seulement il y a entre 4 000 et 2 000 ans, ce n’est donc que vers le IIIᵉ et Vᵉ siècle après J.-C. que la peau claire a commencé à se généraliser en Europe, principalement au nord et à l’est, tandis que le sud restait encore largement foncé.


(Cf.
- Jean-Paul Demoule, La préhistoire en 100 questions, Tallandier 2023
- Claudine Cohen, Femmes de la préhistoire, Tallandier 2021
- Jean-Jacques Hublin, La tyrannie du cerveau, Robert Laffont 2024
- Silvana Condemi, Néandertal à la plage, Dunod 2024
- Perplexity.ai)


lundi 14 juillet 2025

Démographie — naître ou ne pas naître

Crime de paternité :
“Avoir commis tous les crimes, hormis celui d'être père.”
(Emil Cioran, De l'inconvénient d'être né, folio p. 12)

Punition / loi naturelle :
“Les enfants se retournent, doivent se retourner contre leurs parents, et les parents n'y peuvent rien, car ils sont soumis à une loi qui régit les rapports des vivants en général, à savoir que chacun engendre son propre ennemi.”
(Ibid. p. 117)

Être parent quand même ! Donner la vie parce que, toutefois :
“naître […] m’apparaît […] comme une calamité que je serais inconsolable de n’avoir pas connue.” (Ça vaut aussi pour la progéniture !…)
Contexte :
“Je ne me pardonne pas d’être né. C’est comme si, en m’insinuant dans ce monde, j’avais profané un mystère, trahi quelque engagement de taille, commis une faute d’une gravité sans nom. Cependant il m’arrive d’être moins tranchant : naître m’apparaît alors comme une calamité que je serais inconsolable de n’avoir pas connue.”
(Ibid. p. 22)

Cf. Genèse 1, 28 — "injonction criminelle" ? (Cioran, Le Mauvais Démiurge, Œuvres p. 1174), ou "bénédiction ?" ("Dieu les bénit en disant : 'soyez féconds et multipliez-vous'"). Un commandement, dans la Genèse !… injonction / à être accomplie comme acte de foi.

… Passer de la récrimination à la reconnaissance…



PS : Silvana Condemi (Néandertal à la plage, Dunod 2024) émet l'hypothèse (p. 115 sq.) que les Néandertaliens auraient pu disparaître par faiblesse démographique, entraînant une érosion démographique qui aurait précipité leur extinction. Carlo Rovelli (Sept brèves leçon de physique, Flammarion 2025) note (p. 107-109) que nous sommes la dernière espèce d'une douzaine du genre Homo. Les autres ont toutes disparu. "Nous appartenons à un genre d'espèces dont la vie est courte" (p. 109)…

mercredi 9 juillet 2025

Débiteurs insolvables — cadeau !


Luc 10, 25-37
25 Voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : "Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ?"
26 Jésus lui dit : "Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ?"
27 Il lui répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même."
28 Jésus lui dit : "Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie."
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : "Et qui est mon prochain ?"
30 Jésus reprit : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
32 Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de compassion.
34 Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.
36 Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ?"
37 Le légiste répondit : "C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui." Jésus lui dit : "Va et, toi aussi, fais de même."
*

"Va et, toi aussi, fais de même", conclut Jésus donnant en exemple le Samaritain. Or que vient de faire le Samaritain ? Il vient de se faire un débiteur — insolvable, qui plus est ! Voilà qui remet en question l'hypothèse d'un beau geste de gratuité — ignorant la question de la réelle possibilité d'une telle gratuité : "nul ne peut savoir si toutes ses bonnes œuvres ne sont pas des péchés mortels, si elles ne sont justifiées gratuitement par le Saint-Esprit", nous prévient Luther…

Mais résumons tout d'abord l’histoire que propose Jésus : cinq personnages : le blessé, deux responsables du temple de Jérusalem, un Samaritain (c'est-à-dire rattaché à un autre temple que celui que reconnaissent Jésus, le légiste et les deux responsables du temple de Jérusalem), et l'hôtelier. Tous sont juifs (comme Jésus et son interlocuteur) ; un seul ne l'est pas, le Samaritain, en voyage.

Un blessé au bord d’un chemin en pente raide descendante (900 m de dénivelé sur 27 km), dangereux, propice aux embuscades. Puis trois hommes passent. Après les deux responsables du temple de Jérusalem, arrive le Samaritain. À côté du blessé, un pauvre total, dépouillé, roué de coups, laissé « à moitié mort » par les bandits, voilà un homme avec une monture et assez d'argent pour que le blessé puisse arriver à l'auberge et y rester autant qu'il le faudra. Cela pour dire une vraie richesse intérieure, cette richesse d’âme qui le conduit à son attitude envers un blessé qu'il ne connaît pas, dont il prend soin comme si c'était un de ses proches.

Reprenons la question de la gratuité et de sa possibilité. Pauvreté totale d'un blessé d'un côté, richesse indubitable du bienfaiteur de l'autre. Ce qui va faire du blessé le tenant d'une dette — il doit la vie au Samaritain — qu'il ne pourra pas rembourser : d'autant que son bienfaiteur est parti sans laisser d'adresse ! Et Jésus de conclure par : « fais de même » ! Que vient de faire le Samaritain ? À travers son acte admirable, il vient donc de faire un endetté — qui sera dans l'impossibilité de rembourser : le Samaritain n'est même plus là pour recevoir ne serait-ce qu'un « merci » d'un blessé qui lui doit la vie !

Être endetté est un problème. Ne compensons-nous pas notre dette pour un repas en apportant… des fleurs, un gâteau, ou autre ?… Dans notre histoire, on n'en est pas à une simple invitation à dîner… Le blessé doit sa vie à son bienfaiteur.

Quand Jésus conclut en disant de faire comme le Samaritain, cela revient au fond à dire : fais des endettés — qui, en plus, ne pourront rien rembourser ! C'est ce qui nous échappe souvent dans ce texte, nous imaginant naïvement que nous pourrions vivre dans la gratuité, sans dette, sans même un merci…

*

Mais voyons d'abord le début du dialogue entre Jésus et le connaisseur de la Bible qui le questionne. Comme il est coutume dans les évangiles, il veut mettre Jésus à l'épreuve, c'est-à-dire savoir s'il connaît bien la Bible. « Maître », lui demande-t-il donc, « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Question à laquelle Jésus répond par une autre question — comment lis-tu ce que dit la Bible ? L’homme, bon connaisseur des Écritures, donne en réponse le résumé de ce qu'elles commandent, aimer Dieu (Deutéronome 6, 5) et son prochain (Lévitique 19, 18).

C'est la réponse de Jésus qui, du coup, interroge : « fais cela et tu auras la vie ». Réponse évidemment correcte pour l’homme, mais… Qui prétendrait être à la hauteur ? Aimer les siens comme soi-même, oui à la limite, mais quid du « prochain », quel sens à ce terme ? C'est ce qui le mène à poser sa seconde question, pour se justifier, dit le texte, ce qui sous-entend bien : « qui, à commencer par moi, prétendra être à la hauteur ? »

Seconde question, donc : « allons plus loin… et qui est mon prochain ? » — car « si vous aimez seulement ceux qui vous aiment »… (Luc 6, 32) que faites vous d'extraordinaire ? selon ce que dit Jésus lui-même. Alors Jésus raconte l’histoire du Samaritain, qui illustre le texte d'où est extrait « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 18), comme un commentaire narratif de ce texte extrait de la Torah. En cela, Jésus et le bibliste ne peuvent qu'être d‘accord.

*

Mais, ayant répondu par son histoire à la seconde question : « qui est mon prochain ? » — c'est celui dont tu fais ton prochain, que tu considères ainsi, même s'il n'est pas des tiens, même si tu ne le connais pas —, Jésus est revenu à la première question, sur la vie éternelle, en reprenant à la fin la même réponse, en l’ayant précisée par sa petite histoire : « fais cela ».

Cela ne rend-il pas impossible l’accès à la vie éternelle pour les pauvres humains que nous sommes ? Est-ce que j’ai fait cela ?… Ai-je tant donné, à faire des endettés qui ne peuvent rien rendre… avec une dette qui ne pourra pas être remboursée ? Et Jésus qui conclut : « Toi aussi fais de même » ! L'auditeur attentif a de quoi être troublé ! Et c’est sans doute ce que cherche Jésus…

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Telle est la réalité de la dette : on ne vit pas dans la gratuité, sans dette ni « merci ». Ainsi l'aide aux pays endettés, dépouillés par les bandits, que l’on croirait gratuite, ne fait que renforcer leur dépendance et les priver de leur dignité ! Y a-t-il cela au bout de la parabole du bon Samaritain ?

À moins d’admettre que cette dette qui ne pourra pas être remboursée soit la nôtre. À moins donc qu'on entende l'enseignement de Jésus d'une autre façon… Et si c'était moi le blessé ? Avec cette question : quelle est ma dette ? Alors une voie s'ouvre, qui fait de chacune et chacun de nous un blessé, et par là un autre possible Samaritain parce qu'un blessé qui sait l’être, chargé d'une dette immense, non remboursable, un blessé soigné par un Samaritain absenté… Faisant, dans une chaîne, de chacune et chacun de nous des endettés inaptes à rembourser et dès lors appelés à faire à leur tour autant d’endettés propres à faire à leur tour de même, puisque sachant que leur propre dette n'est pas remboursable.

*

Alors s'ouvre — cadeau ! — la bonne nouvelle au cœur de l’enseignement de la Bible : aime sans autre raison que de savoir que tu as été aimé, d'une façon que tu ne peux rembourser (dette infinie au Dieu sauveur : 1er commandement, qui se traduit, comme gratitude, en imitation de Dieu : 2e commandement, semblable au 1er). Comment entrer dans la vie ? En entrant dans le double commandement comme porte de la vie d'éternité, selon l'enseignement de Jésus au Notre Père peu après : « remets-nous nos dettes/péchés comme nous remettons à ceux qui nous doivent » (Luc 11, 1-4).

Nous voilà comme des blessés au bord de la route, quand tel le Samaritain de la parabole, Jésus est venu à notre secours. Nous avons à son égard une dette que nous ne pourrons pas lui rendre — que nous ne pourrons que traduire en reconnaissance, en l’imitant à notre façon, sans nous imaginer orgueilleusement que nous sommes capables comme Dieu de don gratuit : nous sommes bien des endettés qui n’ayant pas les moyens de rembourser, pouvons déjà nous essayer à faire de même à notre tour et à notre mesure. Faire de même devient juste une modeste façon de dire merci.


mardi 8 juillet 2025

Agnus Dei

Agnus Dei,
Qui tollis peccata mundi,
Miserere nobis.

Agnus Dei,
Qui tollis peccata mundi,
Dona nobis pacem.



Samuel Barber - Agnus Dei

dimanche 6 juillet 2025

vendredi 27 juin 2025

Brève théologie du 7 octobre


Le 7 octobre 2023 a dévoilé, pour qui veut bien le voir, les risques induits par l’usage que font les islamistes de certains textes de la tradition musulmane (textes des hadiths et Sira — biographie du Prophète de l’islam — datant de deux siècles env. après l’Hégire). Deux exemples : le mariage qui aurait été celui de Mahomet et de Aïcha (outre son “mariage”, cf. infra, avec Çafiyya), les violences guerrières et antijuives attribuées par les mêmes textes au même Mahomet. (À quoi on pourrait ajouter, via ces textes de conquêtes et butins, avec femmes-butins, la légitimation du futur rôle historique des civilisations arabo-musulmanes dans le développement de l’esclavage des Africains comme butin, avec le racisme négrophobe qui l’accompagne. Ici civilisations et “universalismes” “occidentaux” et arabo-musulmans ont les uns comme autres à balayer devant leur porte ! Cf. le livre récent et complet de Catherine Coquery-Vidrovitch, Les routes de l’esclavage, Albin Michel 2018).

Le mariage Mahomet-Aïcha selon le Sahih de Bukhari (810-870) Volume 7, Livre 62, 88 : “‘Ursa a rapporté : ‘Le prophète écrivit le (contrat de mariage) avec ‘Aisha quand elle était âgée de six ans et consomma son mariage avec elle quand elle était âgée de neuf ans’”.
Ou encore : “‘Aïcha a rapporté (ibid. 64 et 65) ‘que le prophète l’a épousée quand elle avait six ans et qu’il consomma son mariage quand elle avait neuf ans […]’.” Cf. Sahih de Muslim (env. 821-875) Livre 8, 3310. Cf. Sira de Ibn Hisham (mort vers 834), etc.

Pour faire (trop) simple :
— l’islam sunnite considère que ce mariage et sa consommation ont vraiment eu lieu ;
— l’islamisme enseigne qu’il est légal de faire pareil ;
— d’autres musulman(e)s (ou réputés telles ou tels) pensent que cela relève de légendes traditionnelles, du genre de l'épopée, issues des milieux califaux, sans que ça n’ait de réalité historique (la tradition mystique, autre que celle écrite sous le contrôle des califes, tradition mystique initiée par Rabia al Adawiya, qui vivait avant la mise par écrit des textes califaux traditionnels peut aller jusqu’à permettre de mettre en doute que Mahomet ait été polygame, et qu’il ait été guerrier) ;
— et nombre de celles et ceux qui sont originaires de pays de tradition musulmane se moquent de savoir si cela a eu lieu ou pas et considèrent cela comme insupportablement archaïque.
Concernant les premiers, qui estiment que ce mariage et sa consommation ont bien eu lieu ou, comme les islamistes, qui pensent que cela vaut imitation, il y a bien lieu de craindre leurs croyances, de concevoir à l’égard de ces croyances là de l’ “islamophobie” (sans la confondre avec ni légitimer une “musulmanophobie”) !… Sachant que les racismes négrophobe et antisémite ne sont pas non plus étrangers à l’islam, l’antisémitisme inscrit (à l’instar de l’Antiquité et du Moyen Âge chrétiens) dans la tradition ; la négrophobie, elle, apparaissant dès le XIVe siècle, né de la pratique généralisée de l’esclavage et des déportations esclavagistes transsahariennes dès les premiers siècles de l’islam (cf. Tidiane N’Diaye, Le génocide voilé, Gallimard 2008).


7 octobre 2023

Le monstreux pogrom antisémite du 7 octobre 2023 produit dès le 8 octobre… une forte montée de la mise en cause… des juifs !!! et des actes de racisme antisémite dans le monde… (cf. Eva Illouz, Le 8-Octobre, généalogie d'une haine vertueuse, Tracts Gallimard n°60, 2024).

Antisémitisme — que l’on voit apparaître dans plusieurs textes guerriers de la tradition califale, hadiths et Sira, qui attribuent à Mahomet des violences inouïes, notamment contre les juifs. Ibn Hisham fait le récit suivant, dans la Sirat Rassoul Allah (La biographie du prophète Mahomet — trad. fr. Wahib Atallah, Fayard 2004, p. 277-278) : “Le Prophète recommanda à ses compagnons : Tout juif qui vous tombe sous la main, tuez-le. Le Prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banû Quraydha [tribu juive de Médine] et de les enfermer dans la maison de Bint al-Hârith. Il alla ensuite sur la place du marché de Médine et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Banû Qurayza par petits groupes et leur coupa la gorge sur le bord des fossés. Ils étaient six à sept cents hommes. On dit huit cents et même neuf cents. Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu’à leur extermination totale. Le Prophète fit ensuite le partage des femmes, des enfants et des biens des Banû Qurayza entre les musulmans. Le Prophète envoya dans la région de Najd (en Arabie) une partie des captives juives des Qurayza en échange desquelles il acheta des chevaux et des armes. Parmi les captives des Banû Qurayzaa, le Prophète avait choisi pour lui-même (pour son plaisir) une femme appelée Rayhâna, qui resta chez lui, en sa possession, jusqu’à sa mort.”

Cela vaut aussi selon la même Sira concernant une autre tribu juive, demeurant à Khaybar. Le fameux cri dans les manifestations pro-Palestine en Europe, Khaybar Khaybar ya Yahud, jaysh Muhammad sawfa ya’ud (“Khaybar, Khaybar, ô Juifs, l’armée de Mahomet va revenir”), fait référence à un autre passage de la Sira d’Ibn Hishâm (datant donc de deux siècles après les événements supposés — sans doute inventés) : Khaybar est l’oasis où se trouvait la tribu juive des Banu Nadir. Le texte, parlant à nouveau d’un massacre de juifs attribué au prophète de l’islam, dit que Çafiyya est “prise pour épouse” (part du butin partagé) par Mahomet le jour où sont assassinés son mari et son père (Ibn Hishâm, Sira, trad. Wahib Atallah, éd. Fayard p. 315-317).

Qu’est-ce d’autre qu’un viol, que ce “mariage” consommé le jour-même de l’assassinat du mari, du père, des proches de la “mariée” ?… Chose sans rapport avec l’horreur du 7 octobre ? Mais, semble-t-il, ceux qui défilent avec des fanatiques qui hurlent cette référence comme menace actuelle ne savent pas !

Qu’est-ce d’autre qu’une légitimation du pogrom-razzia terroriste du 7 octobre ? Où le refus de le considérer, et y voir un acte de “résistance”, relève d’une affreuse imposture — confusion entre l’antisémitisme islamiste et les actes prévisibles exposés par Frantz Fanon dans son livre Les damnés de la terre, hélas préfacé par Sartre qui en gauchit le sens. Pour Fanon, les opprimés coloniaux en viendront éventuellement, voire inéluctablement, à la révolte violente. Sartre s’en réjouit ! Les “wokistes” américains et la “gauche radicale” française qui veulent voir dans la terreur islamiste de la résistance, voire des “féministes” qui n’y voient pas des viols, s’aveuglent sur l’imposture d’actes racistes antisémites, misogynes (contre des femmes juives, parce que juives, d’une violence inouïe), qui font de la cause palestinienne et de l’oppression un prétexte (les Yézidis massacrés par des islamistes, les Yézidies réduites en esclavage sexuels ont opprimé qui ? Sachant qu’on est devant les mêmes lectures des mêmes textes de la part de Daech et du Hamas, qui débordent largement l’OLP laïque). Le problème est qu’un discours ambiant veut faire confondre les deux ! Imposture terrible d’un propos qui vise à réinstaurer de façon démultipliée l’ancienne oppression coloniale qui fut celle des empires califaux, légitime le racisme antisémite (et demain négrophobe, et autres, comme haine des chrétiens, “croisés”, des athées, “apostats”, des homosexuels, systématiquement tués sous le régime du Hamas, etc.)…

Les textes cités ci-dessus sont pourtant clairs. Quatre attitudes à leur égard parmi les musulmans. Il y a ceux qui croient ces textes ; parmi lesquels ceux (islamistes) qui veulent les appliquer aujourd’hui et, quand ils le peuvent, le font ; il y a ceux qui y voient des créations apocryphes califales visant à justifier ces pratiques des pouvoirs ultérieurs mais qui n’étaient pas celles de Mahomet ; et ceux qui jugent que quoiqu’il en soit, on est dans un archaïsme insoutenable.

Les éructations des cris de "Khaybar" de ceux qui espèrent la promotion d’une compréhension islamiste du monde, devraient en principe être insupportables à la gauche radicale qui participe aux mêmes manifestations — en regard, entre autres, de l’antisémitisme indéniable de ces slogans et du refus obtus d’acquis féministes (jugés “immoraux” en regard de l’islamisme — cf. le statut des femmes dans les terres d’islam que sont l’Iran ou l’Afghanistan), voire pour les plus extrêmes une compréhension pour d’insupportables actes de violences, viols et meurtres (voire la pratique de menaces, via internet ou autres et le refus de condamner le terrorisme).

Qu’est-ce que cette “ultra-gauche” qui participe à ces manifestations parisiennes là ? Qu’est-ce que cette alliance avec des islamistes antisémites, esclavagistes et misogynes tout en étant proches des mouvements intersectionnels, forcément insupportables aux islamistes !? Ou sont-ils des indécrottables naïfs, qui ne voient pas la nature de l’islamisme ? Bref, des autruches, attitude d’autant plus troublante que l’on parle parfois d’universitaires, difficilement soupçonnables de ne pas savoir ce qu’est l’islamisme, ce que les islamistes ont à nouveau démontré le 7 octobre 2023 !

Le cœur de la difficulté est probablement dans les rapprochements antisionistes, puisque c’est sans doute essentiellement par ce biais-là que des militants de “gauche” et des islamistes se sont retrouvés dans les mêmes manifestations scandant des slogans explicitement antisémites (mais en général en arabe), via une défiance commune à l’égard de l’État d’Israël, de sa politique actuelle à un pôle, de son existence à un autre, avec tout un éventail entre les deux, allant jusqu’à l’antisémitisme, voire se fondant dans l’antisémitisme, quand est inscrite dans les textes fondateurs du Hamas ou de l’Iran des mollahs, la destruction pure et simple d’Israël.

Où il faut avoir la lucidité de pointer l’illégitimité de l’antisionisme, en tant qu’antécédemment aux dérives sur l’interprétation de ce terme, et à la politique de tel ou tel dirigeant de l’État d’Israël, il finit par viser tout simplement une revendication symbolique inhérente à la judéité : la (minuscule) terre constitutive de la judéité (et qui n’en est pas moins laïque). Je cite Pauline Bebe, rabbin : “Israël, le pays, la terre, est l’objet d’un attachement plusieurs fois millénaire des juifs. Non pas comme simple refuge pour les juifs après la seconde guerre mondiale, mais comme terre foulée par les pieds de nos ancêtres, décor de notre histoire, lieu de renaissance de l’hébreu, la langue du judaïsme, lieu de vie du judaïsme comme la diaspora, lieu de renouvellement d’interprétation et d’inspiration. Il ne s’agit pas de politique mais l’âme juive trouve des racines, un de ses foyers sur cette terre mentionnée quotidiennement dans nos prières” (“Les dix commandements de la lutte contre l’antisémitisme”, Revue de l’Amicale des pasteurs français à la retraite, 26 mars 2019).

Un petit peuple : 15 millions dans le monde, face à 2,5 milliards de chrétiens et 1,8 milliards de musulmans. 15 millions aujourd’hui. Chiffre à peine supérieur au nombre de juifs à l’époque, selon les historiens, de l’Empire romain. Pourquoi presque les mêmes chiffres ? À cause de la violence qu’ils ont subie tout au long de l’Histoire en Occident comme en Islam et ailleurs, à cause du racisme antisémite qu’ils continuent de subir sous le nom d’antisionisme (terme inventé par Staline pour n’être pas accusé d’antisémitisme). Or, qu’est-ce que le sionisme, en son sens premier (cf. Théodore Herzl) : la revendication d’un État souverain, libéré de la colonisation turque de l’époque, juifs à côté et avec les autres habitants de la province turque de Palestine, musulmans et chrétiens. La décolonisation a eu lieu en 1948, sous le mandat britannique. Une double décolonisation, refusée par les États arabes de la région : pas question pour eux de juifs souverains (effet de la théologie de la substitution dans le monde arabo-musulman : les “communautés” non-musulmanes doivent être “soumises”) ! D’accord pour les Arabes, mais pas pour les juifs, fussent-ils des juifs arabes ! (L’antisémitisme local précède 1948 : pogroms, alliance du mufti de Jérusalem avec Hitler, à l’instar des frères musulmans, mouvance du futur Hamas, alliée du nazisme dès les années 1920. Cf. Georges Bensoussan, Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), Que sais-je ?, 2023 ) Nostalgie d’un autre colonialisme, celui de la domination coloniale arabe puis turque. Désir de décolonisation vis-à-vis de la dernière forme locale, anglaise, mais refus de la décolonisation des juifs ! Pourquoi ?

Un héritage international, dont est empreint le secrétariat général actuel de l’Onu, qui a mis quatre mois à reconnaître que le pogrom du 7 octobre pose problème, ou que la capture d’otages est un problème en soi, fait du Hamas ; un secrétaire général de l’Onu qui pendant ce temps donnait des satisfecit aux talibans et minimisait la violence de l’Iran contre les femmes, pendant que les mollahs tiraient les ficelles de leurs “proxis” contre Israël (le peuple iranien ne s’y trompe pas, qui refuse de soutenir la politique “antisioniste” des mollahs).

Israël accusé de génocide ou d’apartheid par les dictatures de la planète, faisant d’Israël le bouc émissaire d’une mémoire sélective. “Apartheid” : comment citer tous les Arabes israéliens dans les instances les plus élevées d’Israël — depuis le directeur de la banque centrale, Arabe israélien, jusqu’aux élus arabes de la Knesset ? Quel régime d’apartheid pour faire cela ? Alors on invoque les mesures de contrôle, ou le mur qui a permis de limiter les attentats quotidiens des fanatiques qui se faisaient sauter dans des bus bondés. Et après l’horreur du 7 octobre, dès le 8 octobre on refuse à nouveau à Israël le droit de se défendre, le devoir de défendre sa population, et on parle, quand il tente de se débarrasser et de débarrasser le peuple palestinien de la menace terroriste oppressive qui se cache derrière ses civils, mués sans vergogne en boucliers humains, de “génocide” ! L’atroce souffrance des Gazaouis est due avant tout à ses oppresseurs du Hamas, que personne ou presque ne semble mettre en cause, alors qu’ils clament leur refus de protéger leurs civils, leur racisme antisémite stipulé dans leur charte, et leur volonté d’éliminer “les juifs” !

Où l’antisionisme apparaît comme ce qu’il est. “L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort.” (Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible, 1965)

RP