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vendredi 29 septembre 2023

Ce soir, la Lune rêve…


Nietzsche : "Il n'y a pas de faits mais seulement des interprétations" (Fragments posthumes, 7, fin 1886-printemps 1887).


Nietzsche montre la lune, l’insensé regarde son doigt, en s'imaginant que Nietzsche dirait qu’il n’y a pas de lune, i.e. pas de réel (à savoir, ce qui heurte : “le réel, c'est quand on se cogne”, dixit Lacan) ! Si l’on n’a accès au réel que via ce que nous sommes, jusque dans notre matérialité, notre corporéité, les interprétations dont il s’agit n’impliquent pas qu’il n’y a rien derrière ces interprétations, mais qu’on n’y a pas accès autrement que par ces interprétations, comme on n’a pas accès à la lune en soi. Mais ça heurte quand même !

C’est donc ainsi qu'"il n'y a pas de faits mais seulement des interprétations". Un certain déconstructivisme contemporain, qui s’imagine être héritier de Nietzsche, postule que les interprétations impliquent l'inexistence du réel et glisse de la contemplation du doigt de Nietzsche à celle de son doigt propre — substitué non seulement à celui de Nietzsche, mais, dans un subjectivisme radical, aussi au réel.

Réinterprétation de la volonté de puissance, celui qui réussit à imposer son interprétation l'impose comme un fait : subvertissant l'aphorisme de Nietzsche, l’interprétation de celui qui a déconstruit l'interprétation précédente (déclarée "mythe") devient fait. La "post-vérité" se substitue à l’ancienne interprétation, imposant des fake-news qui déclarent fake-news les interprétations qui ne sont pas la sienne. Attitude où se rejoignent nombre d'intellectuels “déconstructeurs” d’un côté et adeptes du trumpisme de l’autre !

Or, le réel heurte ! Ce qui semble gêner beaucoup lesdits “déconstructeurs”… Le réel en est déconstruit de tous bords : quand à une aile il l'est par la "post-vérité", l'autre aile n'est pas en reste. Ainsi, exemple éloquent : déclarée "construite", la sexuation sera donc déconstruite par l'auto-déclaration de genre, débouchant éventuellement sur des effets physiques de la déconstruction, via des traitements hormonaux et chirurgicaux.

En histoire, il n’y aura donc plus de cathares/néo-manichéens médiévaux, plus de "sorciers/sorcières", mais uniquement une société persécutrice qui les invente — un pas plus loin et il n’y aura plus de vaudois, plus de lépreux, plus de juifs, plus d’homosexuels : il n’y a plus qu'interprétations dues à une société paranoïaque. Certes, paranoïa il y a eu certainement, faisant naître la peur des hérétiques et des sorciers, et surtout sorcières (terreur des hommes persécuteurs)…

Des historiens comme Jean Duvernoy ou Carlo Ginzburg, au fait de la dimension paranoïaque des interprétations persécutrices, n’ont pas perdu de vue pour autant qu’il y a une lune que désigne le doigt, même mal comprise : un mouvement vraiment dualiste pour les cathares ; un reliquat d’un culte chamanique de Diane pour les sorciers et sorcières ; une maladie pour les lépreux ; une lecture talmudique de la Torah pour les juifs ; une orientation sexuelle pour les homosexuels — appelés “bougres” (Bulgares !) comme l’ont été aussi les cathares ; une exigence évangélique pour les vaudois, etc. Certes l'interprétation paranoïaque a tout confondu : les sorcières (daïmoniales) se rendant au sabbat (juif) pour leurs vauderies (vaudoises) ! Interprétation que ces confusions. La lune n’en cesse pas d'exister pour autant !

*

Ce soir, la Lune rêve avec plus de paresse ;
Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui, d’une main distraite et légère, caresse
Avant de s’endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l’azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poëte pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du Soleil.


(Charles Baudelaire, “Tristesses de la lune”, recueil Les fleurs du mal)


RP, 21.03.2023

Articles sur les cathares ICI, ICI, et ICI.

jeudi 28 novembre 2019

Malentendu universel


"Le monde ne marche que par le malentendu. C’est par le malentendu universel que tout le monde s’accorde. Car si, par malheur, on se comprenait, on ne pourrait jamais s’accorder."

Charles Baudelaire, Journaux intimes, Mon cœur mis à nu

mardi 26 septembre 2017

En ces temps merveilleux où la Théologie…


En ces temps merveilleux où la Théologie
Fleurit avec le plus de sève et d'énergie
On raconte qu'un jour un docteur des plus grands,
— Après avoir forcé les cœurs indifférents ;
Les avoir remués dans leurs profondeurs noires ;
Après avoir franchi vers les célestes gloires
Des chemins singuliers à lui-même inconnus,
Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus, -
Comme un homme monté trop haut, pris de panique,
S'écria, transporté d'un orgueil satanique :
"Jésus, petit Jésus ! je t'ai poussé bien haut !
Mais, si j'avais voulu t'attaquer au défaut
De l'armure, ta honte égalerait ta gloire,
Et tu ne serais plus qu'un fœtus dérisoire !"

Immédiatement sa raison s'en alla.
L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila ;
Tout le chaos roula dans cette intelligence,
Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence,
Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.
Le silence et la nuit s'installèrent en lui,
Comme dans un caveau dont la clef est perdue.
Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue,
Et, quand il s'en allait sans rien voir, à travers
Les champs, sans distinguer les étés des hivers,
Sale, inutile et laid comme une chose usée,
Il faisait des enfants la joie et la risée.

Charles Baudelaire, « Châtiment de l’orgueil », Les fleurs du mal

samedi 20 juin 2015

Σύνοδος | "marche commune"

(Image ici)

« Ne pouvant pas supprimer l'amour, l’Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage. » (Charles Baudelaire, Mon Cœur mis à nu)

samedi 29 décembre 2012

Trop tard...


"On se tue toujours trop tard". (Emil Cioran, De l'inconvénient d'être né, Paris, Gallimard, 1973, p. 43.)




"Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : " Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! "

(Charles Baudelaire, "L'Horloge", Les Fleurs du Mal - LXXXV.)




"La mort est la chose dont l'arrivée prochaine est la plus sûre pour tous" (dicton africain - en substance) : inutile de la précipiter.