vendredi 8 novembre 2024

Un mot déshonoré


“Ce mot, Hitler l'a déshonoré à jamais” écrit Georges Bernanos en 1944. On ne l’utilisera donc plus. Mais quid de la chose que désignait ce mot ?


“Il n'y eut jamais de la part de Bernanos, même […] quand il se situait à la pointe du combat contre le régime de Pétain, de global ni fondamental rejet de l'antisémitisme, mais, plutôt, en 1948, l'année de sa mort, une sorte de répudiation, esquissée, inachevée, avec une motivation superficielle : ‘Ce mot (“antisémite”) Hitler l'a déshonoré à jamais’.” (Arnold Mandel, “Un texte trop oublié”, Le Monde, 6.10.1978.)

Bernanos, cité en entier : “Il y a une question juive. Ce n'est pas moi qui le dis, les faits le prouvent. Qu'après deux millénaires le sentiment raciste et nationaliste juif soit si évident pour tout le monde que personne n'ait paru trouver extraordinaire qu'en 1918 les alliés victorieux aient songé à leur restituer une patrie, cela ne démontre-t-il pas que la prise de Jérusalem par Titus n'a pas résolu le problème ? Ceux qui parlent ainsi se font traiter d'antisémites. Ce mot me fait de plus en plus horreur, Hitler l'a déshonoré à jamais.” (Bernanos, 24 mai 1944 dans O Jornal, presse brésilienne, reproduit dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes (1948), Gallimard, p. 421-422.)

Le mot est déshonoré, il faut le remplacer pour désigner la chose — qui n'a pas disparu ! Qui aujourd’hui confesserait être antisémite, quand bien même il manifesterait tout ce qui caractérise la chose ? Le mot étant déshonoré, il faudra en trouver un autre…

En 1965, Vladimir Jankélévitch en a noté un, qui désigne la même chose — un autre nom toujours pas déshonoré à ce jour, “antisioniste” : “L'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d'être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort.” (Jankélévitch, L'Imprescriptible.)

RP

mardi 15 octobre 2024

Bouc émissaire dévoilé



"Là s'assembleront les aigles" (Mt 24, 28)


Permanent signe des temps, démultiplié et devenu pluriel, l'idée de bouc émissaire a traversé l’histoire que l’on va visiter. Cette idée évoque un rite décrit dans le livre biblique du Lévitique (ch. 16, v. 20-22) : le grand desservant du Tabernacle, puis du Temple, par une imposition des mains symbolique, fait reposer sur un bouc (l’animal) tous les péchés du peuple. Chassé dans le désert, le bouc les y emporte. Le rite permet en principe d’éviter au peuple de persécuter un individu ou un groupe minoritaire en faisant reposer sur lui sa culpabilité. Le phénomène a été mis en lumière par René Girard, écrivant qu’à défaut de la compréhension du rite, les sociétés font communément reposer leur culpabilité sur une minorité, le plus souvent les juifs… Le premier pogrom antijuif signalé par les historiens a eu lieu dans l’Égypte païenne du 1er siècle, le dernier à ce jour a eu lieu le 7 octobre 2023. À y être attentif, le 7 octobre et ses suites en Occident comme dans le monde arabo-musulman, marquent un apogée de l'antisionisme, qui le fait apparaître comme révélant l’essence de l’antisémitisme : à savoir le judaïsme comme bouc émissaire de la culpabilité des sociétés religieuses (Chrétienté comme Islam) ou laïques : la civilisation moderne et contemporaine — puisque l’on va parler de la Chrétienté et de son effondrement.

Moment significatif de la Chrétienté occidentale : la canonisation d’un roi, Louis IX, mieux connu comme Saint Louis ; canonisé pour sa fidélité à la papauté et à la théologie de la croix qui apparaît alors ; et parce que comme roi, il combat les “ennemis de la croix” : les musulmans, en participant à la huitième croisade, les hérétiques en achevant la croisade contre les cathares en Albigeois, les juifs en limitant leur impact par l’imposition de la rouelle jaune, reprise au monde musulman selon les décisions du pape Innocent III et du IVe concile du Latran, cela accompagné du brûlement de Talmuds à Paris en place de Grève. Dès son vivant il est populaire. La théologie de la croix le conduit à l'achat très onéreux de reliques comme celle de “la vraie croix”, ou de la couronne d'épines, pour Notre Dame et la sainte Chapelle. La croix sauve, mais culpabilise aussi : on a tué le Fils de Dieu. Aussi les départs en Croisade contre les “ennemis de la croix” se sont accompagnés de pogroms contre les juifs, réputés “déicides”, “ennemis du crucifié” par excellence… On se décharge sur eux de la culpabilité…

La Chrétienté s'effondrera, remplacée par la civilisation moderne. Le phénomène va-t-il cesser ? Pas du tout : la civilisation moderne, libérale, est largement redevable à l’usage de la Bible hébraïque par ceux, protestants, qui la mettent en place. Or, le libéralisme politique est accompagné par le libéralisme économique, avec ses effets pervers en matière d'écarts de richesse. Bible hébraïque ? Juifs donc, qui deviendront les boucs émissaires recevant la culpabilité des effets pervers du libéralisme économique. Par la gauche, avec les philosophes des Lumières, de Voltaire à l’hégélianisme et au marxisme, en passant par Proudhon, qui dénonceront le refus des juifs de s’assimiler et leur “cosmopolitisme”. Par la droite, nostalgique de l'Ancien Régime, qui leur reproche et leur rôle dans l’avènement de la civilisation libérale, et leur rôle dans la critique socialiste des effets pervers du capitalisme. On reconnait les années 1930, avec le nazisme qui reproche aux juifs un “cosmopolitisme” à la fois capitaliste et bolchevique.

La gauche n’est toujours pas en reste : un des effets pervers les plus évidents du capitalisme est le colonialisme qu’elle a promu !, suscitant donc un sentiment de culpabilité, qu’elle fera reposer, bouc émissaire, sur les juifs, devenus, en Israël, le type de l’homme colonialiste. Où l’antisionisme révèle bien cette essence de l’antisémitisme, où la gauche occidentale rejoint l’Islam politique pour lequel, comme pour la Chrétienté (mais sans théologie de la croix, évidemment), les juifs — et les autres minorités “du Livre” (cf. Les Arméniens chrétiens et leur génocide par les Turcs) —, sont “protégés” de façon arbitraire comme dhimmis, “protection” qui les laisse en proie à la menace de violences chaque fois qu’il faut se purger de ses propres échecs et de la culpabilité de ces échecs.

La culpabilité d’un monde issu de la Chrétienté (des USA à la Russie incluse) où l’on se renvoie la faute coloniale les uns aux autres, porte désormais contre les juifs et rejoint dans l’antisionisme par lequel il se déploie l’antisémitisme arabo-musulman, appuyé sur des textes tardifs, comme la Sira d'Ibn Hisham reprenant certains hadiths. Conjonction des culpabilités qui se rejoignent dans l’antisionisme continuant à faire des juifs les boucs émissaires de ces culpabilités.

(Signes des temps et civilisation moderne, introduction à L’État, le judaïsme et la Chrétienté, conférence donnée par R. Poupin pour l'AJC d'Arcachon le 15.10.2024. Voir ici le texte en entier.)

RP


samedi 5 octobre 2024

Cynisme ou naïveté confondante ?



Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Patrick Hetzel, a été dénoncé par Mélenchon, déplorant qu'il ait « dit que comme l’université est laïque, il ne faut pas parler de Gaza ». Mais, « parler de géopolitique n’est pas attentatoire à la laïcité », a-t-il poursuivi.

Eh bien, si : dans ce cas, c'est bien la laïcité qui est en jeu, si du moins on sait que la laïcité a été mise en place pour lutter contre le catholicisme politique de l'époque. Le catholicisme, depuis Vatican II, a abandonné ses nostalgies d'une Chrétienté politique, ce qui n'est pas le cas de l'Islam, notamment dans sa mouvance au pouvoir à Gaza, en Afghanistan, en Iran, ou sous le Hezbollah, qui tous persécutent les laïques (à l'instar de leur alliés en théologie Al-Qaïda ou Daesh). C'est donc bien de laïcité qu'il s'agit, celle qu'attaquent systématiquement ceux dont les mélenchoniens s'avèrent être les alliés, au moins objectifs, allant de l'islamisme au pouvoir en Turquie ou en Iran, à celui du Maghreb, en passant par celui du pouvoir taliban. Il faut se réveiller ! On n'est plus en 1789, ni en 1905, ni même au temps du FLN laïque de la guerre l'Algérie, mais bien face à un Islam politique contemporain, plus anti-laïque que ne l'a jamais été le Vatican dans ses phases les plus intolérantes !

Cynisme ou naïveté confondante ? La question dans le conflit mondial actuel qui fait rage au Proche-Orient est bien théologique. Ou bien l'islamisme et ses références, terribles pour tous les non-islamistes à commencer par les juifs, à continuer par les chrétiens pour ne rien dire des "apostats", atroces pour les femmes, ou bien la possibilité d'une ouverture vers d'autres lectures des textes fondateurs, et notamment du Coran : une lecture qui, pour commencer, ne prône pas l'extermination d'Israël et des juifs. Ce type de lecture est possible (cf. l'islamologue Eliezer Cherki), une lecture qui permette dans le monde arabe une acceptation d'une terre de juifs qui se soient pas dhimmis.

Où il serait question d'étude laïque (i.e. non dominatrice, ici non-islamiste) des religions… Hélas il semble, quand on nie que l'islamisme du Hamas ou du Hezbollah pose problème à la laïcité, qu'on en soit loin !

mercredi 25 septembre 2024

Le système Hamas


« Si les Arabes déposaient leurs armes aujourd’hui, il n’y aurait plus de violence. Si les Juifs déposaient leurs armes aujourd’hui, il n’y aurait plus d’Israël » (Golda Meir)

https://www.tumblr.com/bgv-1967/757107799182426112

7 octobre avant…

vendredi 6 septembre 2024

Le vide apparent



Un article du pasteur Michel Jas

« Dans le judaïsme, ce n’est pas parce que nous avons perdu (par la persécution) tous les textes théologiques talmudiques ou mystiques qui peuvent nous éclairer sur l’invention (ou la transmission à partir d’éléments plus anciens) de la kabbale en Languedoc que ce judaïsme pré-hassidique, piétiste et ésotérique n’a pas existé. Dans le christianisme de la fin du Moyen Âge les disputes philosophiques entre les franciscains plutôt augustiniens-platoniciens et les dominicains aristotéliciens avant et après la querelle des universaux nous ont laissé des traces, évidemment plus importantes, mais disséminées.
Les hérétiques sont comme les juifs, leurs œuvres ont été détruites (les A.T. en hébreu comme les Midrashim et le Talmud à peine trouvés étaient brûlés). On connait au sujet des cathares plus de textes de controverse catholiques à leur sujet, et d’inquisition, que leurs propres textes, dont certains ont été redécouverts, quand même, heureusement, malgré tout (4 rituels, deux traités, les originaux occitans du colloque de Montréal)…
Leur négation est un affront aux petits, aux minoritaires et à l’histoire… Je trouve formidable que certains membres du clergé catholique se soient intéressés à eux aux XIXe siècle et XXe (avant Vatican II), quand on pense que leurs devanciers au Moyen Âge voulaient à tout prix faire taire puis disparaître les traces de la dissidence… !
Les cathares avaient des rites particuliers qui ne ressemblent pas à quelque chose de ‘bricolé’ à la va vite, mais au contraire qui témoignent de quelque ancienneté.
Les cathares sont porteurs d’une théologie qui a sa place dans le mouvement des idées : il faut lire ce qu’ils ont écrit et la réponse de l’orthodoxie catholique de leur époque ! » […]

L'article complet ICI.