vendredi 27 juin 2025

Brève théologie du 7 octobre


Le 7 octobre 2023 a dévoilé, pour qui veut bien le voir, les risques induits par l’usage que font les islamistes de certains textes de la tradition musulmane (textes des hadiths et Sira — biographie du Prophète de l’islam — datant de deux siècles env. après l’Hégire). Deux exemples : le mariage qui aurait été celui de Mahomet et de Aïcha (outre son “mariage”, cf. infra, avec Çafiyya), les violences guerrières et antijuives attribuées par les mêmes textes au même Mahomet. (À quoi on pourrait ajouter, via ces textes de conquêtes et butins, avec femmes-butins, la légitimation du futur rôle historique des civilisations arabo-musulmanes dans le développement de l’esclavage des Africains comme butin, avec le racisme négrophobe qui l’accompagne. Ici civilisations et “universalismes” “occidentaux” et arabo-musulmans ont les uns comme autres à balayer devant leur porte ! Cf. le livre récent et complet de Catherine Coquery-Vidrovitch, Les routes de l’esclavage, Albin Michel 2018).

Le mariage Mahomet-Aïcha selon le Sahih de Bukhari (810-870) Volume 7, Livre 62, 88 : “‘Ursa a rapporté : ‘Le prophète écrivit le (contrat de mariage) avec ‘Aisha quand elle était âgée de six ans et consomma son mariage avec elle quand elle était âgée de neuf ans’”.
Ou encore : “‘Aïcha a rapporté (ibid. 64 et 65) ‘que le prophète l’a épousée quand elle avait six ans et qu’il consomma son mariage quand elle avait neuf ans […]’.” Cf. Sahih de Muslim (env. 821-875) Livre 8, 3310. Cf. Sira de Ibn Hisham (mort vers 834), etc.

Pour faire (trop) simple :
— l’islam sunnite considère que ce mariage et sa consommation ont vraiment eu lieu ;
— l’islamisme enseigne qu’il est légal de faire pareil ;
— d’autres musulman(e)s (ou réputés telles ou tels) pensent que cela relève de légendes traditionnelles, du genre de l'épopée, issues des milieux califaux, sans que ça n’ait de réalité historique (la tradition mystique, autre que celle écrite sous le contrôle des califes, tradition mystique initiée par Rabia al Adawiya, qui vivait avant la mise par écrit des textes califaux traditionnels peut aller jusqu’à permettre de mettre en doute que Mahomet ait été polygame, et qu’il ait été guerrier) ;
— et nombre de celles et ceux qui sont originaires de pays de tradition musulmane se moquent de savoir si cela a eu lieu ou pas et considèrent cela comme insupportablement archaïque.
Concernant les premiers, qui estiment que ce mariage et sa consommation ont bien eu lieu ou, comme les islamistes, qui pensent que cela vaut imitation, il y a bien lieu de craindre leurs croyances, de concevoir à l’égard de ces croyances là de l’ “islamophobie” (sans la confondre avec ni légitimer une “musulmanophobie”) !… Sachant que les racismes négrophobe et antisémite ne sont pas non plus étrangers à l’islam, l’antisémitisme inscrit (à l’instar de l’Antiquité et du Moyen Âge chrétiens) dans la tradition ; la négrophobie, elle, apparaissant dès les XIVe siècle, né de la pratique généralisée de l’esclavage et des déportations esclavagistes transsahariennes dès les premiers siècles de l’islam (cf. Tidiane N’Diaye, Le génocide voilé, Gallimard 2008).


7 octobre 2023

Le monstreux pogrom antisémite du 7 octobre 2023 produit dès le 8 octobre… une forte montée de la mise en cause… des juifs !!! et des actes de racisme antisémite dans le monde… (cf. Eva Illouz, Le 8-Octobre, généalogie d'une haine vertueuse, Tracts Gallimard n°60, 2024).

Antisémitisme — que l’on voit apparaître dans plusieurs textes guerriers de la tradition califale, hadiths et Sira, qui attribuent à Mahomet des violences inouïes, notamment contre les juifs. Ibn Hisham fait le récit suivant, dans la Sirat Rassoul Allah (La biographie du prophète Mahomet — trad. fr. Wahib Atallah, Fayard 2004, p. 277-278) : “Le Prophète recommanda à ses compagnons : Tout juif qui vous tombe sous la main, tuez-le. Le Prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banû Quraydha [tribu juive de Médine] et de les enfermer dans la maison de Bint al-Hârith. Il alla ensuite sur la place du marché de Médine et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Banû Qurayza par petits groupes et leur coupa la gorge sur le bord des fossés. Ils étaient six à sept cents hommes. On dit huit cents et même neuf cents. Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu’à leur extermination totale. Le Prophète fit ensuite le partage des femmes, des enfants et des biens des Banû Qurayza entre les musulmans. Le Prophète envoya dans la région de Najd (en Arabie) une partie des captives juives des Qurayza en échange desquelles il acheta des chevaux et des armes. Parmi les captives des Banû Qurayzaa, le Prophète avait choisi pour lui-même (pour son plaisir) une femme appelée Rayhâna, qui resta chez lui, en sa possession, jusqu’à sa mort.”

Cela vaut aussi selon la même Sira concernant une autre tribu juive, demeurant à Khaybar. Le fameux cri dans les manifestations pro-Palestine en Europe, Khaybar Khaybar ya Yahud, jaysh Muhammad sawfa ya’ud (“Khaybar, Khaybar, ô Juifs, l’armée de Mahomet va revenir”), fait référence à un autre passage de la Sira d’Ibn Hishâm (datant donc de deux siècles après les événements supposés — sans doute inventés) : Khaybar est l’oasis où se trouvait la tribu juive des Banu Nadir. Le texte, parlant à nouveau d’un massacre de juifs attribué au prophète de l’islam, dit que Çafiyya est “prise pour épouse” (part du butin partagé) par Mahomet le jour où sont assassinés son mari et son père (Ibn Hishâm, Sira, trad. Wahib Atallah, éd. Fayard p. 315-317).

Qu’est-ce d’autre qu’un viol, que ce “mariage” consommé le jour-même de l’assassinat du mari, du père, des proches de la “mariée” ?… Chose sans rapport avec l’horreur du 7 octobre ? Mais, semble-t-il, ceux qui défilent avec des fanatiques qui hurlent cette référence comme menace actuelle ne savent pas !

Qu’est-ce d’autre qu’une légitimation du pogrom-razzia terroriste du 7 octobre ? Où le refus de le considérer, et y voir un acte de “résistance”, relève d’une affreuse imposture — confusion entre l’antisémitisme islamiste et les actes prévisibles exposés par Frantz Fanon dans son livre Les damnés de la terre, hélas préfacé par Sartre qui en gauchit le sens. Pour Fanon, les opprimés coloniaux en viendront éventuellement, voire inéluctablement, à la révolte violente. Sartre s’en réjouit ! Les “wokistes” américains et la “gauche radicale” française qui veulent voir dans la terreur islamiste de la résistance, voire des “féministes” qui n’y voient pas des viols, s’aveuglent sur l’imposture d’actes racistes antisémites, misogynes (contre des femmes juives, parce que juives, d’une violence inouïe), qui font de la cause palestinienne et de l’oppression un prétexte (les Yézidis massacrés par des islamistes, les Yézidies réduites en esclavage sexuels ont opprimé qui ? Sachant qu’on est devant les mêmes lectures des mêmes textes de la part de Daech et du Hamas, qui débordent largement l’OLP laïque). Le problème est qu’un discours ambiant veut faire confondre les deux ! Imposture terrible d’un propos qui vise à réinstaurer de façon démultipliée l’ancienne oppression coloniale qui fut celle des empires califaux, légitime le racisme antisémite (et demain négrophobe, et autres, comme haine des chrétiens, “croisés”, des athées, “apostats”, des homosexuels, systématiquement tués sous le régime du Hamas, etc.)…

Les textes cités ci-dessus sont pourtant clairs. Quatre attitudes à leur égard parmi les musulmans. Il y a ceux qui croient ces textes ; parmi lesquels ceux (islamistes) qui veulent les appliquer aujourd’hui et, quand ils le peuvent, le font ; il y a ceux qui y voient des créations apocryphes califales visant à justifier ces pratiques des pouvoirs ultérieurs mais qui n’étaient pas celles de Mahomet ; et ceux qui jugent que quoiqu’il en soit, on est dans un archaïsme insoutenable.

Les éructations des cris de "Khaybar" de ceux qui espèrent la promotion d’une compréhension islamiste du monde, devraient en principe être insupportables à la gauche radicale qui participe aux mêmes manifestations — en regard, entre autres, de l’antisémitisme indéniable de ces slogans et du refus obtus d’acquis féministes (jugés “immoraux” en regard de l’islamisme — cf. le statut des femmes dans les terres d’islam que sont l’Iran ou l’Afghanistan), voire pour les plus extrêmes une compréhension pour d’insupportables actes de violences, viols et meurtres (voire la pratique de menaces, via internet ou autres et le refus de condamner le terrorisme).

Qu’est-ce que cette “ultra-gauche” qui participe à ces manifestations parisiennes là ? Qu’est-ce que cette alliance avec des islamistes antisémites, esclavagistes et misogynes tout en étant proches des mouvements intersectionnels, forcément insupportables aux islamistes !? Ou sont-ils des indécrottables naïfs, qui ne voient pas la nature de l’islamisme ? Bref, des autruches, attitude d’autant plus troublante que l’on parle parfois d’universitaires, difficilement soupçonnables de ne pas savoir ce qu’est l’islamisme, ce que les islamistes ont à nouveau démontré le 7 octobre 2023 !

Le cœur de la difficulté est probablement dans les rapprochements antisionistes, puisque c’est sans doute essentiellement par ce biais-là que des militants de “gauche” et des islamistes se sont retrouvés dans les mêmes manifestations scandant des slogans explicitement antisémites (mais en général en arabe), via une défiance commune à l’égard de l’État d’Israël, de sa politique actuelle à un pôle, de son existence à un autre, avec tout un éventail entre les deux, allant jusqu’à l’antisémitisme, voire se fondant dans l’antisémitisme, quand est inscrite dans les textes fondateurs du Hamas ou de l’Iran des mollahs, la destruction pure et simple d’Israël.

Où il faut avoir la lucidité de pointer l’illégitimité de l’antisionisme, en tant qu’antécédemment aux dérives sur l’interprétation de ce terme, et à la politique de tel ou tel dirigeant de l’État d’Israël, il finit par viser tout simplement une revendication symbolique inhérente à la judéité : la (minuscule) terre constitutive de la judéité (et qui n’en est pas moins laïque). Je cite Pauline Bebe, rabbin : “Israël, le pays, la terre, est l’objet d’un attachement plusieurs fois millénaire des juifs. Non pas comme simple refuge pour les juifs après la seconde guerre mondiale, mais comme terre foulée par les pieds de nos ancêtres, décor de notre histoire, lieu de renaissance de l’hébreu, la langue du judaïsme, lieu de vie du judaïsme comme la diaspora, lieu de renouvellement d’interprétation et d’inspiration. Il ne s’agit pas de politique mais l’âme juive trouve des racines, un de ses foyers sur cette terre mentionnée quotidiennement dans nos prières” (“Les dix commandements de la lutte contre l’antisémitisme”, Revue de l’Amicale des pasteurs français à la retraite, 26 mars 2019).

Un petit peuple : 15 millions dans le monde, face à 2,5 milliards de chrétiens et 1,8 milliards de musulmans. 15 millions aujourd’hui. Chiffre à peine supérieur au nombre de juifs à l’époque, selon les historiens, de l’Empire romain. Pourquoi presque les mêmes chiffres ? À cause de la violence qu’ils ont subie tout au long de l’Histoire en Occident comme en Islam et ailleurs, à cause du racisme antisémite qu’ils continuent de subir sous le nom d’antisionisme (terme inventé par Staline pour n’être pas accusé d’antisémitisme). Or, qu’est-ce que le sionisme, en son sens premier (cf. Théodore Herzl) : la revendication d’un État souverain, libéré de la colonisation turque de l’époque, juifs à côté et avec les autres habitants de la province turque de Palestine, musulmans et chrétiens. La décolonisation a eu lieu en 1948, sous le mandat britannique. Une double décolonisation, refusée par les États arabes de la région : pas question pour eux de juifs souverains (effet de la théologie de la substitution dans le monde arabo-musulman : les “communautés” non-musulmanes doivent être “soumises”) ! D’accord pour les Arabes, mais pas pour les juifs, fussent-ils des juifs arabes ! (L’antisémitisme local précède 1948 : pogroms, alliance du mufti de Jérusalem avec Hitler, à l’instar des frères musulmans, mouvance du futur Hamas, alliée du nazisme dès les années 1920. Cf. Georges Bensoussan, Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), Que sais-je ?, 2023 ) Nostalgie d’un autre colonialisme, celui de la domination coloniale arabe puis turque. Désir de décolonisation vis-à-vis de la dernière forme locale, anglaise, mais refus de la décolonisation des juifs ! Pourquoi ?

Un héritage international, dont est empreint le secrétariat général actuel de l’Onu, qui a mis quatre mois à reconnaître que le pogrom du 7 octobre pose problème, ou que la capture d’otages est un problème en soi, fait du Hamas ; un secrétaire général de l’Onu qui pendant ce temps donnait des satisfecit aux talibans et minimisait la violence de l’Iran contre les femmes, pendant que les mollahs tiraient les ficelles de leurs “proxis” contre Israël (le peuple iranien ne s’y trompe pas, qui refuse de soutenir la politique “antisioniste” des mollahs).

Israël accusé de génocide ou d’apartheid par les dictatures de la planète, faisant d’Israël le bouc émissaire d’une mémoire sélective. “Apartheid” : comment citer tous les Arabes israéliens dans les instances les plus élevées d’Israël — depuis le directeur de la banque centrale, Arabe israélien, jusqu’aux élus arabes de la Knesset ? Quel régime d’apartheid pour faire cela ? Alors on invoque les mesures de contrôle, ou le mur qui a permis de limiter les attentats quotidiens des fanatiques qui se faisaient sauter dans des bus bondés. Et après l’horreur du 7 octobre, dès le 8 octobre on refuse à nouveau à Israël le droit de se défendre, le devoir de défendre sa population, et on parle, quand il tente de se débarrasser et de débarrasser le peuple palestinien de la menace terroriste oppressive qui se cache derrière ses civils, mués sans vergogne en boucliers humains, de “génocide” ! L’atroce souffrance des Gazaouis est due avant tout à ses oppresseurs du Hamas, que personne ou presque ne semble mettre en cause, alors qu’ils clament leur refus de protéger leurs civils, leur racisme antisémite stipulé dans leur charte, et leur volonté d’éliminer “les juifs” !

Où l’antisionisme apparaît comme ce qu’il est. “L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort.” (Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible, 1965)

RP

jeudi 26 juin 2025

L'abstraction originelle — marque de l'humain



Figures très connues, les “Vénus paléolithiques” sont parmi les formes les plus emblématiques de l’art préhistorique. Ces statuettes, datées du Paléolithique supérieur (il y a environ 30 000 à 10 000 ans), présentant généralement des formes très accentuées (seins, ventre et fesses), ont fait parfois supposer un réalisme exagéré : ne sachant qui furent les artistes, hommes ou femmes, on y a souvent vu des hommes fabriquant des images érotiques d’un réalisme outré. Mais précisément n'y a-t-il pas au contraire dans ces caractères physiques exagérés l'indice de l’abstraction ? Il existe aussi des figures féminines aux caractères sexués schématiques, où seuls certains éléments comme le bassin ou la vulve sont mis en avant. Abstraction encore. Et peut-être indice d’un art pas nécessairement masculin…

Toujours dans l’abstraction : les statuettes cycladiques du Néolithique, plus récentes (il y a 5000 ans env.), sont remarquables par leurs lignes épurées et leur stylisation poussée. Cette abstraction se retrouve également en amont dans l’art pariétal (entre 40 000 et 10 000 ans env.), où des signes et symboles féminins (comme le triangle pubien ou les silhouettes schématiques) sont omniprésents et témoignent d’une volonté de représenter l’essence du féminin.

Imaginer que l’on aurait avec les “Vénus” des représentations réalistes, suppose oublier que l’art réaliste date de la fin du Moyen Âge. On mentionne souvent Giotto (XIIIe-XIVe s.) comme marquant l'apparition de la perspective. Jusque là on est dans la symbolique, avec la dimension abstraite de la symbolique. Le développement du réalisme a parfois fait juger, dévalorisant la symbolique, que les statues grecques antiques relevaient du réalisme, ignorant qu’elles visaient au contraire la représentation via le corps d’un idéal supra-temporel, bref, abstrait.

Dans l’art grec classique, la représentation du corps humain tend à l’idéalisation et à la recherche de proportions parfaites, en conservant une dimension symbolique héritée de traditions plus anciennes. Les statuettes cycladiques, mais aussi sans doute les “Vénus paléolithiques”, préfigurent par leur abstraction la stylisation du corps dans l’art grec archaïque, où la forme humaine devient support de réflexion sur la beauté idéelle.

Cette continuité révèle comment l'abstraction préhistorique et l'idéalisation grecque convergent vers une méditation sur l'identité humaine, où la figure féminine incarne la dualité entre matérialité corporelle et aspiration à l'unité perdue. — Ce que l'on retrouve dans l'art africain ou dans l'art contemporain, qui s'en inspire (comme le revendique par ex. un Picasso à partir de 1907).

Dans Le Banquet de Platon, Aristophane propose le mythe de l’androgyne : des êtres originels, à la fois mâles et femelles, séparés par les dieux, cherchant à retrouver leur unité perdue. Ce mythe met en avant la recherche de la complétude et de la complémentarité des sexes, un thème que l’on peut rapprocher de l’abstraction des représentations préhistoriques : la figure féminine, parfois fusionnée à des éléments masculins ou réduite à l’essentiel, pourrait symboliser la quête d’unité ou d’origine.

L'abstraction des figures féminines préhistoriques réduites à l'essentiel — avec parfois fusion des sexes — reflète cette aspiration à l'unité.

Pensons aussi à la Genèse, où l’image de Dieu est donnée dans la dualité de l’homme et de la femme (Gn 1, 27), séparés par la concrétisation des deux côtés de l’humain primordial (Gn 2, 21).

L'abstraction, qui vise l'idéel, présente dès l’origine de l’art, est peut-être, outre les tombes intentionnelles, la marque de l’humain comme être religieux, en quête de l’ultime, de l’archétype qui le fonde.

Si l'abstraction procède, au plan immanent, de l'évolution du développement du cerveau en vue de la survie de l'espèce (du façonnement d'outils à la réflexion mathématique), s'y opère une rejonction de l'intuition de l'éternité (Ecc 3, 11).


RP, 25.06.25

mercredi 25 juin 2025

"Une sorte d’horreur submerge toute l’âme"



“Dans le meilleur des cas, celui que marque le malheur ne gardera que la moitié de son âme.

Ceux à qui il est arrivé un de ces coups après lesquels un être se débat sur le sol comme un ver à moitié écrasé, ceux-là n’ont pas de mots pour exprimer ce qui leur arrive. Parmi les gens qu’ils rencontrent, ceux qui, même ayant beaucoup souffert, n’ont jamais eu contact avec le malheur proprement dit n’ont aucune idée de ce que c’est. C’est quelque chose de spécifique, irréductible à toute autre chose, comme les sons, dont rien ne peut donner aucune idée à un sourd-muet. Et ceux qui ont été eux-mêmes mutilés par le malheur sont hors d’état de porter secours à qui que ce soit et presque incapables même de le désirer. Ainsi la compassion à l’égard des malheureux est une impossibilité. Quand elle se produit vraiment, c’est un miracle plus surprenant que la marche sur les eaux, la guérison des malades et même la résurrection d’un mort.
[…]
Le malheur rend Dieu absent pendant un temps, plus absent qu’un mort, plus absent que la lumière dans un cachot complètement ténébreux. Une sorte d’horreur submerge toute l’âme. Pendant cette absence il n’y a rien à aimer. Ce qui est terrible, c’est que si, dans ces ténèbres où il n’y a rien à aimer, l’âme cesse d’aimer, l’absence de Dieu devient définitive. Il faut que l’âme continue à aimer à vide, ou du moins à vouloir aimer, fût-ce avec une partie infinitésimale d’elle-même. Alors un jour Dieu vient se montrer lui-même à elle et lui révéler la beauté du monde, comme ce fut le cas pour Job. Mais si l’âme cesse d’aimer, elle tombe dès ici-bas dans quelque chose de presque équivalent à l’enfer.”

(Simone Weil, L’Amour de Dieu et le malheur, Œuvres, Quarto p. 694-695)

*

Simone Weil écrit cela en 1942. Depuis, il y a eu la connaissance de la Shoah…

Elie Wiesel à Auschwitz, adolescent enfermé dans un camp — qui vient de comprendre que l'odeur atroce que dégage une sombre fumée,… est celle de ses parents, — assiste à la pendaison d'un jeune garçon. Dieu demeure dans le silence. Une voix parmi les hommes derrière lui murmure douloureusement : "Où est ton Dieu ? Et je sentais en moi une voix qui lui répondait : — Où est-il ? Le voici — il est pendu ici à cette potence…"
(Elie Wiesel, La nuit, éd. de Minuit 1958, p. 121-122)

*

Cioran, en 1952 :

“Par l'intensité de ses conflits, le XVIe siècle [celui du tableau de Jérôme Bosch ci-dessus, L'Enfer] nous est plus proche qu'aucun autre ; mais je ne vois pas de Luther, de Calvin en notre temps. […] — Si l'allure nous fait défaut, nous marquons toutefois un point sur eux : […] La prédestination, seule idée chrétienne encore tentante, gardait pour eux sa double face. Pour nous, il n'y a plus d'élus.”
(Emil Cioran, Syllogismes de l'amertume, Œuvres, p. 770)


mardi 24 juin 2025

Jeanne d’Arc au temps des pré-réformes



Même si Jeanne d’Arc (1412-1431) a vécu avant la Réforme et a été canonisée par l’Église romaine au XXe s., il est légitime pour les protestants de s'intéresser à sa posture. Plusieurs éléments le justifient :

Face à l’autorité ecclésiastique, Jeanne d’Arc a été perçue par ses juges comme une femme « contestataire », car elle se référait à ses voix et à sa conscience plutôt qu’à l’autorité de l’Église « militante » (terrestre), ce qui l’a fait condamner pour hérésie et schisme. Ce refus de se soumettre aveuglément à l’institution ecclésiastique rappelle l’attitude de figures protestantes ou pré-réformatrices comme Jean Hus ou John Wyclif, qui mettaient aussi en avant la primauté de la conscience et de la relation directe à Dieu.

Jeanne affirmait que ses voix et visions venaient directement de Dieu (cf. Exode 20, 18 : “le peuple voyait les voix”), ce qui, selon ses juges, signifiait qu’elle plaçait son jugement au-dessus de l’autorité ecclésiastique. Ce refus de se soumettre inconditionnellement à l’autorité ecclésiastique était considéré comme hérétique.

Comme d’autres réformateurs ou pré-réformateurs (Jean Hus vient d’être condamné et brûlé, en 1415, lors du Concile de Constance), Jeanne a été condamnée pour hérésie malgré sa revendication d’une foi droite et son appel au pape, qui fut ignoré. Cette situation la rapproche de ceux qui, plus tard, seront exclus de l’Église catholique romaine mais continueront à se réclamer du christianisme authentique.

Ainsi, si après sa mort, Jeanne a été réhabilitée, récupérée par l’Église catholique romaine et canonisée, son image a été aussi revendiquée par d’autres courants, notamment protestants et laïques, comme symbole de liberté de conscience, de résistance à l’oppression religieuse et politique, et de fidélité à l’appel intérieur.

Jeanne agit dans le contexte de la guerre de Cent Ans, où la défense de la foi et du territoire est centrale. Une part de son inspiration est chevaleresque : elle incarne l’idéal chevaleresque de défense de la chrétienté et du roi. Comme, mutatis mutandis, les membres des ordres militaires du Moyen Âge, elle associe la foi et l’action armée. Ce qui marque une distance certaine d’avec la future Réforme protestante…

Même si Jeanne d’Arc n’était donc pas protestante au sens confessionnel, son parcours, sa condamnation et sa posture face à l’autorité ecclésiastique permettent aux protestants, de façon légitime, de la revendiquer comme une figure annonciatrice de la liberté de conscience et du rapport personnel à Dieu.

Les Réformateurs du XVIe s. ont mis en avant l’idée de la liberté chrétienne et de l’égalité de tous les croyants (sacerdoce universel) devant Dieu, concepts absents ou marginaux dans le catholicisme médiéval. C'est pourquoi on a pu voir en Jeanne une précurseure de cette liberté de conscience, car elle a agi selon ses convictions personnelles, même contre les autorités religieuses et politiques.

C’est surtout à partir du XIXe siècle que certains ont vu en Jeanne d’Arc cette figure annonciatrice de la liberté de conscience, la rapprochant ainsi de l’esprit de la Réforme, voire de Luther lui-même : lors de l’inauguration d’une statue de Jeanne à Nancy en 1890, le pasteur protestant Émile Nyegaard a développé l’idée que Jeanne incarnait la liberté de conscience, refusant de se soumettre à une autorité humaine lorsque sa conscience était en jeu. Il affirmait : « Oui, Jeanne d’Arc a été une héroïne de la liberté de conscience ! » et rapprochait son attitude de celle de Luther à Worms. Son propos a déclenché le courroux de l’évêque catholique de Nancy de l’époque, Charles-François Turinaz, qui a vu dans cette interprétation une remise en cause de l’autorité de l’Église (à nouveau !) et une récupération protestante de la figure de Jeanne d’Arc.

Ce parallèle a été repris par d’autres intellectuels, comme Georges Bernard Shaw qui, dans la préface de sa pièce Jeanne d’Arc (1923), la qualifie de « première protestante », soulignant son libre examen face à l’institution ecclésiale. Paul Viallaneix, éditorialiste protestant, a également souligné, dans son introduction à Michelet, la « conscience totalement révoltée » de Jeanne, établissant à nouveau le lien avec Luther — ou, plus récemment (XXe s.), dans une perspective féministe, Andrea Dworkin.

Faut-il la percevoir comme une béguine ou inspirée par ce mouvement féminin chrétien du Moyen Âge de femmes pieuses, souvent célibataires, vivant en communauté ou de manière autonome ? On est aussi à l’époque de la Devotio Moderna. Même si Jeanne n’est pas directement liée à ces mouvements, on est dans le même contexte spirituel et historique du Moyen Âge tardif.

Lors de son procès, Jeanne a réaffirmé la primauté de sa conscience et de ses voix sur les injonctions des autorités religieuses de son temps. Cette fermeté face à l’Église institutionnelle évoque bien celle de Martin Luther, qui lui aussi s’est tenu face à l’autorité papale au nom de sa foi et de sa conscience.

En outre, au temps de Jeanne d’Arc, la papauté venait tout juste de sortir du Grand Schisme d’Occident (1378-1417), période où plusieurs papes rivaux se disputaient l’autorité sur l’Église. Cette division reflétait les rivalités politiques de l’époque. L’Angleterre, l’Empire germanique, la Flandre, l’Italie du Nord et la Scandinavie reconnaissaient le pape romain (Urbain VI puis ses successeurs), alors que la France, l’Écosse, la Castille, l’Aragon, le Portugal, Naples et la Provence soutenaient le pape d’Avignon (Clément VII puis Benoît XIII). La guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre se situe dans ce contexte.

Certes, après le concile de Constance, un seul pape est reconnu : Martin V (pape de 1417 à 1431). S’il n’a pas pris ouvertement parti pour les Anglais, il n’a pas non plus soutenu Jeanne ni contesté la légitimité de son procès. Cette « neutralité » a contribué à l’idée que la papauté n’était pas du côté de Charles VII et de Jeanne d’Arc. Si le pape n’était pas officiellement pour les Anglais, l’Église institutionnelle locale, sous contrôle anglais, a organisé le procès sans intervention du pape.

Jeanne d’Arc a explicitement demandé à ce que ses actes et ses paroles soient envoyés au pape. Son appel n’a pas été pris en compte ; les autorités anglaises ne voulaient pas qu’elle soit transférée à Rome, car elles tenaient à la juger et à la condamner à Rouen.

Le contexte du récent Grand Schisme d’Occident a donc eu une incidence sur la situation de Jeanne d’Arc dans son soutien au roi capétien Charles VII. Le schisme, qui s’est achevé peu avant l’épopée de Jeanne, ayant vu l’Angleterre soutenir le pape de Rome, la France (les Capétiens) celui d’Avignon, les tensions et les alliances forgées pendant cette période restaient vives après le retour à une papauté unique. Lorsque Jeanne d’Arc intervient, Charles VII est contesté, son autorité affaiblie par la guerre civile entre Armagnacs (partisans du roi) et Bourguignons (alliés des Anglais), et par l’occupation anglaise du nord du royaume. Le sacre de Charles VII à Reims, rendu possible grâce à Jeanne, marque un retour à la légitimité capétienne, à la fois dynastique et religieuse (d’une dynastie restée suspecte aux yeux de Rome), dans un contexte où l’unité de l’Église et du royaume était encore fragile.

Ainsi, le passé du schisme et les divisions religieuses et politiques qui en découlaient ont contribué à faire de l’engagement de Jeanne d’Arc en faveur du roi capétien un acte hautement symbolique — via la revendication d’une relation directe avec le divin, malgré l’autorité ecclésiale. Ce qui sonne indubitablement protestant !

RP, 21.06.25

vendredi 20 juin 2025

Trois épopées : Josué, la Sîra, la Chanson de Roland — et leurs relectures



Josué : Origène invite, dans ses Homélies sur Josué (Sources chrétiennes 71), à lire la conquête de la Terre promise non comme une justification de la violence, mais comme une image de la conquête spirituelle du Royaume des cieux. Josué (dont le nom, en grec comme en hébreu, est le même que celui de Jésus) devient ainsi le chef spirituel qui guide le chrétien dans la lutte contre ses propres vices, à l’image du Christ menant l’Église vers la perfection. La doctrine du combat spirituel traverse toutes les homélies d’Origène sur Josué : la Terre promise figure l’âme, et les ennemis à vaincre symbolisent les passions et les tentations qui s’opposent à la vie chrétienne.

Cette approche permet à Origène de répondre à l’objection, soulevée notamment par les marcionites, selon laquelle l’Ancien Testament serait incompatible avec l’Évangile à cause de sa violence. Pour Origène, “toute l’Écriture est inspirée de Dieu” (2 Tm 3,16), cela demandant une lecture spirituelle pour révéler son vrai sens.

Ce faisant, l’œuvre d’Origène, inspirée par Philon et le judaïsme alexandrin, montre à quel point la rupture entre chrétiens et juifs a laissé, malgré et contre son œuvre, des traces dans certains courants chrétiens, en tête desquels le marcionisme, qui ont perdu de vue leur origine juive, au point d’ignorer totalement les lectures spirituelles juives, et de déboucher sur la théologie de la substitution, au fond d’origine marcionite, qui a sévi jusqu'au XXe s. en arrière-plan de l'antisémitisme européen. Ne présente-t-on pas parfois encore les “moi je vous dis” de Jésus lisant la Torah comme des “antithèses”, quand il s'agit d’un commentaire spirituel de la Torah en vue de sa pleine observance (Mt 5, 17, littéralement : “je suis venu observer pleinement”) ? Ne lit-on pas Paul comme s’opposant à son enseignement rabbinique sur la Torah quand il en est pleinement inspiré (Ro 7, 12) ?

Le Talmud souligne que les guerres de conquête de Josué ont eu lieu dans un contexte historique particulier, il y a des centaines d’années, et qu’il n’est plus possible de mener aujourd’hui des guerres de ce type.

Philon pousse plus loin et lit les personnages bibliques comme des symboles de réalités spirituelles ou des aspects de l’âme humaine. Ainsi, Moïse incarne l’intelligence, Adam l’esprit, etc. Cette approche vise à dépasser la lecture littérale pour en dégager un sens universel et philosophique.

Philon ne commente pas directement le Josué du livre éponyme, mais il applique à Josué la même méthode qu’aux autres figures bibliques : il ne s’agit pas d’un simple chef militaire ou successeur de Moïse, mais d’un symbole spirituel. Cette lecture allégorique permet à Philon de traiter les épisodes problématiques ou violents de la Bible comme des récits à valeur morale ou philosophique, et non comme des prescriptions littérales.

On retrouve ce type de lectures spirituelles concernant deux autres épopées, en islam et en chrétienté, la Sīra d’Ibn Hisham et la Chanson de Roland. Trois épopées, ce genre littéraire ancien par lequel les peuples antiques expliquent leurs origines, leurs luttes initiales. Concernant Josué, on sait qu’on trouve l’équivalent dans la littérature assyrienne. Concernant la Sîra et la Chanson de Roland, un rapport littéraire entre les deux n’est pas à exclure, la première datant du IXe s. (2e s. de l’Hégire), la seconde de fin XIe, alors que le contact militaire islamo-chrétien a eu lieu par les Croisades, et déjà auparavant lors de la lutte dynastique entre Carolingiens (renversant les Mérovingiens) contre les Omeyyades (en lutte contre les Abbassides en passe de les renverser).

Alliance entre les Carolingiens et les Abbassides
Après la chute du califat omeyyade en pleine période carolingienne et l’établissement du califat abbasside à Bagdad, les Omeyyades se replient de Damas à al-Andalus, où ils fondent un émirat indépendant sous Abd al-Rahman Ier.
Les Carolingiens (d’abord Pépin le Bref, puis Charlemagne) voient dans les Omeyyades d’Espagne (vaincus par leur père et grand-père Charles Martel) une menace sur leur frontière sud, tandis que les Abbassides considèrent la survivance omeyyade à l’ouest comme une contestation de leur légitimité.
Les deux puissances ont donc un intérêt commun à s’opposer à l’émirat omeyyade de Cordoue.
Ambassades et cadeaux sont échangés : dès 765, une délégation franque se rend à Bagdad, suivie de plusieurs ambassades réciproques. L’épisode le plus célèbre reste l’envoi par le calife Hārūn al-Rashīd à Charlemagne d’un éléphant blanc (Aboul-Abbas) et d’une horloge hydraulique.
L’alliance se concrétise localement lorsque des gouverneurs pro-abbassides d’al-Andalus (Barcelone, Gérone, Saragosse) sollicitent l’aide militaire de Charlemagne contre l’émir omeyyade de Cordoue. Cela conduit à la campagne de 778-801, qui aboutit à la prise de Gérone et de Barcelone par les Francs, campagne au cours de laquelle a lieu la bataille de Roncevaux et la mort de Roland. Charlemagne est donc alors l'allié du califat abbasside !…
Au-delà de la question omeyyade, l’alliance sert aussi de levier diplomatique contre l’Empire byzantin, rival des deux puissances à divers moments.

La Sîra d’Ibn Hisham, produite sous le califat abbasside, est lue dans les courants spirituels, notamment dans le soufisme, comme la mise en récit du cheminement spirituel du Prophète de l’islam, et, par extension, de tout croyant. Chaque épisode de la vie de Mahomet devient une parabole de la purification de l’âme, de la patience dans l’épreuve, de la confiance en Dieu et de la quête de l’union avec le divin.

Lors de la bataille de Khaybar, ʿAlī, avec son épée légendaire Dhū l-Fiqār, fend un ennemi en deux d’un seul coup, et tranche son adversaire “de la tête jusqu’aux pieds” (on va retrouver l'équivalent dans la Chanson de Roland). Moment redoutable que la bataille de Khaybar, s’il est lu littéralement, comme il l’est, hélas, par l'islamisme, y fondant les violences que l'on sait, culminant le 7 octobre 2023, puisque selon la Sîra, elles sont exercées contre les juifs. Mais une autre lecture est possible, une lecture qui voit dans un récit épique donné en contexte guerrier l'illustration d’un combat spirituel de chacun contre lui-même.

La Chanson de Roland, de même, n’est pas seulement le récit d’une bataille héroïque : elle met en scène la lutte pour la pureté de la cause, la fidélité jusqu’au sacrifice suprême, et l’élévation du héros au rang de martyr. Roland, par sa mort, devient une figure exemplaire : son âme est accueillie par les anges, signe de sa sanctification et de la victoire spirituelle sur la mort. Ne pas en oublier le référent militaire : la guerre des Carolingiens contre les Omeyyades (qui est loin d’être une guerre chrétiens-musulmans).

Ainsi, Roland, de son épée Durandal, “frappe un païen, Justin de Val Ferrée. Il lui fend par le milieu toute la tête et tranche le corps… jusqu'à son cheval dont il a fendu l’échine. Il abat le tout devant lui sur le pré.” “Païen”, Justin de Val Ferrée est un “sarrasin” — trace, dans son nom, de l’escarmouche basque où Roland a été tué ? Le nom de Justin est bien peu musulman ! Trace aussi, peut-être, d’une connaissance, reçue lors des croisades en cours, de la Sîra ?

Dans les deux cas, à l'instar d'Origène lisant Josué, les spirituels des deux camps, invitent à dépasser la dimension violente et guerrière pour y voir une figuration du seul combat qui vaille, le combat spirituel…


RP, 20.06.25

vendredi 6 juin 2025

Fin de vie…

"Malheur ! Le temps est proche où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne peut plus se mépriser lui-même.
Voici ! Je vous montre le dernier homme.
‘Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ?’ — Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil.
La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.
‘Nous avons inventé le bonheur’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur.
Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poison enfin, pour mourir agréablement."

(Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue § 5)