
"Si l'on approfondit un peu le rapport Pie XII-Hitler on peut faire des découvertes intéressantes. Il y a là comme une symétrie et une complémentarité. L'appel général du pape au Bien et à la paix n'est que du vide exhibé et c'est de ce vide qu'a précisément besoin l'Hitléro-Satan pour étendre l'empire de ses drapeaux et opérer tranquillement au milieu des nations catholiques. Le giron du pastor angelicus accueille sans apparat nuptial, dans une ombre clandestine, feignant toujours l'insémination du Verbe d'en haut, le verbe inférieur auquel il rend le service inestimable du silence, tandis que sa bouche dénonce le Mal comme s'il était sine nomine et n'avait pas réellement ces sinistres enseignes. Il se greffe ici un drame formidable, propre aux clairs-obscurs historiques, qui complique tout le pape donne exclusivement au Mal le nom de matérialisme dialectique, et sans comprendre (ou sans vouloir comprendre) l'antireligion hitlérienne peinte en Providence dégouttante de sang, parce qu'il voit dans l'hitlérisme l'antithèse historique de la révolution bolchevique et de la venue du communisme il tend aussitôt à le favoriser comme un bon chien de garde à la puissante mâchoire, doté peut-être d'une paire d'ailes chérubiniques : il n'a pas la capacité, la force de voir la présence du Mal dans l'une et l'autre monstruosités qu'il est appelé à juger, ni de les désigner toutes deux d'un seul geste de ses deux longues mains : voici, messieurs, le Mal. C'est un aveuglement si grave qu'il mérite le nom d'impiété : dans de tels cas, l'homme médiocre placé dans un poste aussi élevé est le signe que Dieu veut nous détruire, et c'est justement que la réprobation corrode sa mémoire. Parce que le pape fait, dans son cœur, un triste, un horrible choix du coup tout son prestige de grand chef religieux est précipité dans l'entonnoir de mort planté dans le baril hitlérien, malgré ses fuites dans des réserves éperdues et des précautions verbales superflues. […] Ainsi son anathème (modeste, au fond, comme désormais tout ce qui vient du pape) est-il lancé sur une seule des deux faces monstrueuses, et sur celle où elle tombe avec le moins d'efficacité, tandis que l'autre en pleine fête, ivre de carnages, comme un Gilles de Rais à Machecoul éclabousse tout, sans bâillon, de sa salive infernale."
(Guido Ceronetti, Le silence du corps [1979], trad. André Maugé, LdP 1984 p. 188-189)
"Dis désormais que l'Église de Rome,
Pour avoir voulu fondre en soi les deux pouvoirs,
Dans la fange est tombée et souille elle et sa charge."
(Dante Alighieri, La divine comédie - "Purgatoire", Chant XVI, 127-129)
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