jeudi 9 mai 2024
"Le néo-antisémitisme se répand d’une manière presque désinvolte"
Extraits d'un article de Grégory Solari, théologien et philosophe, publié sur La Croix le 07/05/2024. Article complet sur La Croix.
"Il n’a fallu que quelques jours pour que la victime devienne le bourreau. L’espace nécessaire pour que le tissu de représentations qui s’attachent au nom « Israël » précipite presque naturellement l’inversion de la perspective. Depuis lors, rien, ni l’étendue des massacres du 7 octobre, ni leur nature, pour ne rien dire des otages encore détenus, aucun argument ne vient modifier cette inversion lexicale.
Dans la rue, sur les réseaux sociaux, dans les campus, Israël se réduit aujourd’hui à un oxymore cumulant en un seul mot ce qui permet de passer presque sans transition de la compassion à la condamnation (« génocide »), sans scrupule, ou très peu, pour l’insulte que constitue ce glissement. Avec la bonne conscience d’un imaginaire [...] qui constitue le geste caractéristique du néo-antisémitisme depuis 1948, à savoir : jouer Israël contre le peuple juif.
Dissociation factice, mais commode, puisqu’elle permet depuis six mois de temporiser face à la montée croissante de la violence à l’endroit de tout ce qui se rattache fantasmatiquement au sionisme [...] rejoué sur la scène académique, [...] occupation relayée au même moment par un appel au boycott des institutions universitaires israéliennes [...] coïncid[ant] symboliquement avec le jour commémoratif de la Shoah (5 mai). C’est-à-dire avec l’événement qui a poussé les survivants des camps devenus apatrides et malvenus partout, ou presque, à la constitution de l’État hébreu.
Un refuge [...]
Comme l’écrit Emmanuel Levinas dans Politique après ! (qu’il faut relire urgemment aujourd’hui), « le sionisme, prétendument pure doctrine politique, porte au plus profond de son être l’image renversée d’une certaine universalité et en est aussi le redressement. Cette écharde dans la chair n’est pas un droit à la pitié. C’est la mesure de l’étrange fermeté d’une intériorité, c’est-à-dire d’un manque d’appui dans le monde, de l’absence de toute “position de repli préparée à l’avance” et de toute issue. D’un dernier retranchement.
Telle est la terre même qu’Israël possède dans son État. L’effort de la bâtir et de la défendre se tend sous la contestation et la menace permanente et croissante de tous les voisins. État dont l’existence reste en question dans tout ce qui en constitue l’essence ; alors que la terre des nations politiques est toujours le fameux “fond qui manque le moins” et qui reste quand tout est perdu. Terre qui, pour Israël, est enjeu ou impasse. »
Chair d’Israël
Ce « fond » qui peut venir « à manquer », c’est non une terre. C’est la chair d’Israël – la réserve d’humanité dont le régime nazi a voulu priver le peuple juif. Comme l’idéologie du Hamas après lui (faut-il rappeler que parmi les otages détenus à Gaza figurent des survivants des camps ?).
Sous ce jour, la coïncidence avec le Yom Hashoah rend d’autant plus indécente mais hélas significative l’occupation des locaux de la faculté de science politique [...]. C’est ainsi, l’air de rien à l’air du rien (nihilisme), que se répand le néo-antisémitisme. De manière presque désinvolte, comme on répand une rumeur impossible à vérifier, dans les campus et dans les rues – une idée toxique empêchant de voir clair ou de penser, et peut-être bientôt de respirer."
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