dimanche 4 août 2019

Controverses cathares et noms d'oiseaux




Tout commence il y 8 ou 9 siècles.

Fin XIIe siècle, on peut lire des « arguments » en forme de « noms d'oiseaux » chez Alain de Montpellier (connu aussi comme Alain de Lille) écrivant notamment une Somme quadripartie, contre les hérétiques, contre les vaudois, contre les juifs, contre les payens, peu avant 1200, pour Guilhem VIII, seigneur de Montpellier. Somme savante, avec caution universitaire qui vaut disqualification de ses adversaires comme argument d'autorité, ce qui n’empêche pas le savant montpelliérain d’user aussi d’arguments comme : « Et c'est pourquoi ils condamnent le mariage, qui déclenche le cours de la luxure. D'où vient, à ce qu'on dit, que dans leurs conciliabules ils font des choses très immondes. Ceux-ci, on les appelle "cathares", c'est-à-dire "coulant par leurs vices", de "catha" (sic) qui est l'écoulement ; ou bien "cathari", comme qui dirait "casti", parce qu'ils se font chastes et justes ; ou bien on les dit "cathares" de "catus", car, à ce qu'on dit, ils baisent le derrière d'un chat, etc. » (P.L., t. 210, c. 366 ; cité par Jean Duvernoy, « "Cathares" ou "Ketter", Une controverse sur l'origine du mot "cathares" », in Annales du Midi, t. 87, n° 123, 1975).

Huit siècles après, paraissent les actes du colloque de Foix de 2003 (Martin Aurell, dir., Les cathares devant l'histoire, Mélanges offerts à Jean Duvernoy, textes rassemblés par Anne Brenon et Christine Dieulafait, L'Hydre éditions, 2005), en hommage à Jean Duvernoy, qui a renouvelé les études cathares, au prix de l'hostilité de la ligne universitaire officielle des années 1970-1980. Il est à l'époque acquis que les cathares sont une secte importée d'Orient et remontant aux manichéens, ou à la gnose, ou au marcionisme, via une généalogie précise, passant par les pauliciens d'Arménie, etc. Au prix de la réception de noms d'oiseaux plus subtils certes que ceux d'Alain de Lille, Duvernoy ne fait pas sienne cette vulgate d'alors et renouvelle définitivement l'étude de l'hérésie. Il se fait taxer d'historien amateur et régionaliste pour avoir remarqué, sans se préoccuper de l’argument d'autorité universitaire dont usait déjà Alain de Lille, ce qui est depuis admis par les successeurs des autorités d'il y a 50 ans. Il vaut de donner une citation à titre d’illustration de ce qui s’écrit alors contre Duvernoy, « historien amateur qui divague » (sic) — dixit la chercheuse Christine Thouzellier. Je cite :

« Une autre divagation de Jean Duvernoy est de prétendre que le nom de "cathare", donné en Rhénanie à ces hérétiques vers 1150 (p. 302-306) et mentionné peu après par Eckhert de Schönau, aurait pour origine le mot allemand Ketter, Ketzer, Katze, le chat : étymologie que semblerait confirmer la remarque burlesque d'Alain de Lille (P.L. 210, 366) : “on les dit 'cathares', de catus, parce qu'ils embrassent le postérieur d'un chat en qui leur apparaît Lucifer”. Pour J. Duvernoy, ces hérétiques “ne sont autres que les gens du Chat, les 'chatistes' dirions-nous” (Annales du Midi, 87, n° 123, 1975, p. 344 ; répét. dans son vol., p. 303). On sourit, malgré soi, d'une telle définition sous la plume d'un amateur historien qui ignore toute la discussion soulevée en Allemagne par l'étymologie du mot dialectal ketter, haut et bas allemand, et ketzer (hérétique) : les deux provenant de catharus, pur, etc. (Ch. Thouzellier, ibid., p. 348) ». Christine Thouzellier (Recension de Jean Duvernoy, Le catharisme : la religion des cathares, in Revue de l’histoire des religions, t. 193, n° 2, 1978), universitaire dûment patentée qui se cite elle-même, comme argument final, s'est par la suite modérée elle-même. Ses successeurs patentés n'ont pas toujours cette humilité. Ils sont bel et bien héritiers de Duvernoy, ont repris ses travaux, et ne le citent pas, mais se citent eux-mêmes les uns les autres, attaquant, et de quelles façons, celles et ceux qui aujourd'hui rendent hommage à cet « historien amateur », ce qui vaut disqualification et passage sous silence à quiconque reconnait sa dette aux travaux de cet « historien amateur régionaliste », fût-il, fût-elle, historien ou historienne universitaire. C'est ainsi que les historiens internationaux, réunis en 2003 à Foix, et lors d’autres rencontres depuis, dotés pourtant pour la plupart de titres universitaires reconnus, se voient ostracisés pour avoir questionné, en regard de l'œuvre de Duvernoy, certaines affirmations du colloque de Nice (cf. les actes : Monique Zerner, dir., Inventer l'hérésie ? Discours polémiques et pouvoirs avant l'Inquisition, Nice, C.E.M, 1998), en dette lui-même à l'œuvre de Duvernoy ! Colloque de Nice donné par « l'autorité officielle » comme moment incontournable de l'étude de l'hérésie, quand il reprend et renouvelle, sur la « charte de Niquinta » des questions traitées déjà dans les années 1960, pour arriver à des conclusions… rejoignant finalement la prudence… de Duvernoy : ne tranchant pas… comme les controverses des années 1960 n'avaient pas tranché !

Et voilà que depuis le colloque de Foix, autour et à la suite de Jean Duvernoy, on interroge telle ou telle affirmation, de même qu'on interroge la méthode auto-intitulée « déconstructiviste »,… interrogation qui relève du crime de lèse-majesté universitaire officielle — contraignant à faire valoir ses titres, qui en principe n'ont rien à faire dans un débat sérieux : les arguments et leur solidité devraient suffire ! À défaut de quoi, on en vient, comme au XIIe siècle, aux noms d'oiseaux, comme dans une attaque virulente de l'historien Julien Théry, qu'il reproduit encore 15 ans après de site en site, contre ceux qu'il classe comme historiens amateurs régionalistes, incorrigibles « défenseurs des cathares » (sic), bref, pas sérieux : Michel Roquebert, qui n'a jamais cessé de montrer face aux thèses « déconstructivistes » un redoutable talent d'historien, la chartiste Anne Brenon, dont les travaux feront mémoire, ou plus modestement, moi-même : ayant signalé au cours des débats du colloque de Foix qu’il s’agit d'être attentif au risque du rapprochement qui pourrait être fait entre le « déconstructionnisme » appliqué aux études cathares et le négationnisme concernant la Shoah, je me suis retrouvé par la suite mis moi-même, au prix d'un parfait contresens, sur la sellette dans l'attaque de M. Julien Théry contre Michel Roquebert, Anne Brenon, et les participants du colloque de Foix en général : le voilà donc qui se saisit de mon propos pour accuser le colloque de Foix de faire — ce qu'il ne faisait pas et contre quoi je prévenais ! — la comparaison entre deux réalités dont je précisais au contraire qu’il s’agit de ne pas les comparer (in Les cathares devant l'histoire, p. 99) ! Et M. Théry… d’ « étayer » son réquisitoire d’une citation hors contexte de mon intervention d’introduction qui faisait référence aux bourreaux médiévaux (Les cathares devant l'histoire, p. 70) — « bourreaux » signifiant dans l’attaque de M. Théry référence aux nazis, naturellement !… et donc aux « déconstructivistes » qui les défendraient ! On voit le raisonnement !… qu’il n’est peut-être pas excessif de qualifier d’alambiqué (façon détournée d'obtenir quand même le point Godwin qu'on voudrait coller aux autres). On voit aussi le degré de bonne foi ! Sa diatribe, publiée d’abord dans le magazine Midi-Pyrénées Patrimoine n°3, a été ensuite mise en ligne par son auteur sur le site Halshs avant d’en être retirée par le directeur de publication auquel je demandais un droit de réponse : « inutile, m’écrivait-il : je fais retirer cet écrit qui n’a pas sa place sur un site scientifique ». Las ! M. Théry qui semble décidément en être fier le trouve apparemment toujours pertinent près de 15 ans après !…

8 ou 9 siècles après les controverses médiévales, 15 ans après le colloque de Foix, les controverses cathares produisent toujours des noms d'oiseaux ! Étrange…

RP

Cf. articles sur les cathares ici.

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