mercredi 9 août 2017
Du détachement
« Beaucoup de maîtres prônent l'amour comme ce qui est le plus haut, tel saint Paul quand il dit : Quelque tâche que j'entreprenne, si je n'ai pas l'amour je ne suis rien. Mais je mets le détachement encore au-dessus de l'amour. D'abord pour cette raison : le meilleur dans l'amour est qu'il m'oblige à aimer Dieu. Or c'est quelque chose de beaucoup plus important d'obliger Dieu à venir à moi que de m'obliger à aller à Dieu, et cela parce que ma béatitude éternelle repose sur ce que Dieu et moi devenions un. Car Dieu peut entrer en moi d'une façon plus intime et s'unir à moi mieux que je ne peux m'unir à lui. Or, que le détachement oblige Dieu à venir à moi, je le prouve ainsi : tout être se tient volontiers dans le lieu naturel qui lui est propre. Le lieu naturel de Dieu qui lui est propre par excellence est l'unité et la pureté, or celles-ci reposent sur le détachement. C'est pourquoi Dieu ne peut pas s'empêcher de se donner lui-même à un cœur détaché.
La seconde raison pour laquelle je mets le détachement au-dessus de l'amour est celle-ci : si l'amour m'amène au point de tout endurer pour Dieu, le détachement m'amène au point de n'être plus réceptif que pour Dieu. Or c'est ce qui est le plus haut. Car dans la souffrance l'homme a toujours encore un regard sur la créature par laquelle il souffre ; par le détachement au contraire il se tient libre et vide de toutes les créatures. Or, que l'homme détaché ne soit plus réceptif que pour Dieu, je le prouve ainsi : ce qui doit être reçu il faut que ce le soit en quelque sujet. Or le détachement est si proche du pur néant qu'il n'y a rien qui serait assez fin pour trouver place en lui, hormis Dieu : Lui est si simple et si fin qu'il trouve bien place dans le cœur détaché. »
Maître Eckhart, Du détachement
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