jeudi 13 février 2020

Thomas d’Aquin préoccupé par les "manichéens"


À la table du roi de France

« À propos de cette abstraction mentale et de cette contemplation, merveilleuses et inouïes, on raconte qu’une fois que saint Louis, roi de France, l’avait invité à sa table, il s’excusa humblement en raison du travail que représentait la Somme de théologie, qu’il était en train de dicter à ce moment-là. Mais le roi et le prieur du couvent de Paris obtinrent du maître à la fois humble et sublime dans sa contemplation qu’il s’inclinât devant leur volonté. Il quitta donc son étude, et, gardant à l’esprit les pensées qu’il avait formées quand il était dans sa cellule, il se rendit chez le roi. Comme il était assis à sa table, une vérité de foi lui fut tout à coup divinement inspirée. Alors il frappa la table de son poing en disant : "Cette fois, c’en est fait de l’hérésie des manichéens !" Alors le prieur lui dit en le touchant : "Prenez garde, maître, vous êtes à la table du roi de France !" Et il tira vivement sur sa chape, pour le faire sortir de son abstraction. Alors le maître, semblant revenir à ses sens, s’inclina devant le saint roi en le priant de lui pardonner d’avoir eu une telle distraction à la table royale. Le roi fut admiratif et édifié par la conduite du maître, car celui-ci, qui appartenait à la noblesse, aurait pu se laisser charmer par l’invitation royale et être distrait de sa contemplation. Et pourtant ce fut l’abstraction de l’esprit qui domina en lui, à ce point que ses sens ne purent faire descendre son esprit des hauteurs où il se trouvait pendant le repas. Le saint roi fut assez avisé pour ne pas laisser perdre la méditation qui avait pu ainsi absorber l’esprit de notre docteur. Il appela donc son secrétaire, voulant faire consigner par écrit, en sa présence, ce que le docteur gardait en secret – bien que rien ne pérît dans la mémoire du docteur de ce qui lui était infusé par l’Esprit divin – pour qu’il le conservât. »

Guillaume de Tocco, L'Histoire de saint Thomas d'Aquin (texte écrit entre 1318 et 1323), Cerf 2005, extrait par Isolde Cambournac

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