samedi 3 décembre 2016

Mages


Bruce Lincoln, Politique du paradis, Religion et empire en Perse achéménide, Genève, Labor et Fides, 2015 | Recension Libresens n°228, nov.-déc. 2016, p. 9

Bruce Lincoln nous conduit en Perse achéménide, au milieu du Ier millénaire av. J.C., pour nous faire découvrir le rôle de la dynastie royale/impériale dans la religion mazdéenne, et notamment dans la fonction qu'y trouve la notion de « paradis » comme expression microcosmique de l'empire visant à une extension universelle en vue de l'établissement d'un règne heureux généralisé.
Si le matériau mythique est mazdéen, Lincoln conteste qu'on puisse lui imposer « la catégorie "zoroastrisme" » selon « une définition exagérément restrictive » : pour cela, « si nous décidons qu'il est nécessaire d'invoquer, – ou du moins de mentionner – le nom de Zarathustra, alors il s’ensuit que Cyrus, Darius et leurs héritiers ne peuvent être considérés comme zoroastriens » (p. 20).
Cela nous conduit à interroger la relation entre prophétie, sacerdoce et empire quant à la gestion du religieux/politique. On pense au parallèle biblique et au rôle religieux de la dynastie davidique, en vis-à-vis du sacerdoce lévitique ou des interpellations prophétiques.
Il n'est pas jusqu'à l’avènement de Darius, donné comme quatrième moment de la création, « fait » par Dieu / Ahura Mazda (p. 28), qui n'évoque l’intronisation du Messie davidique : « je t'ai engendré aujourd'hui » (Psaume 2, 7).
On retrouverait aussi des parallèles ultérieurement en chrétienté avec, par exemple, pour n'en donner qu'un seul, la fonction sacerdotale de la dynastie capétienne « ointe ».
Autant de réflexions qu’inspirent l'ouvrage de Lincoln, dont le moment le plus précisément décrit est celui de l'emploi du mot perse « pari-deiza » (une de ses différentes acceptions dans les diverses langues de l'empire). L'ennemi grec des achéménides a retenu ce terme désignant le jardin achéménide, que l'on retrouve jusque dans la version grecque de la Bible des LXX, « paradeisos » pour désigner le jardin (« gan » en hébreu) d'Eden, devenu de là notre « paradis ». Le fait que les Grecs, de religion juive en l'occurrence, qui ont traduit la Bible des LXX aient choisi ce terme venu du persan en dit sans doute long sur la proximité intellectuelle et religieuse judéo-persane, connue comme s'exprimant aussi de l'angélologie à la doctrine de la résurrection.
Pour terminer par un clin d’œil, peut-être moins sérieux, les échos qu'éveille ce livre érudit : si parmi les porteurs de l'image du paradis comme modèle d'une visée universaliste, on trouve aussi des rois, les monarques mazdéens, de cette religion qui est aussi celle des Mages, n'aurait-on pas trouvé là la trace des fameux Rois-Mages de la tradition chrétienne – suite à Matthieu qui ne parlait pas de rois, mais juste de Mages – venus visiter le roi des Judéens « engendré aujourd'hui » (Ps 2, 7), terme de la Création ?!

RP

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