
Simone Weil, Pensées sans ordre sur l’amour de Dieu et autres textes, folio sagesses 2013, p. 23 :
“Notre être même, à chaque instant, a pour étoffe, pour substance, l'amour que Dieu nous porte. L'amour créateur de Dieu qui nous tient dans l'existence n'est pas seulement surabondance de générosité. Il est aussi renoncement, sacrifice. Ce n'est pas seulement la Passion, c'est la Création elle-même qui est renoncement et sacrifice de la part de Dieu. La Passion n'en est que l'achèvement. Déjà comme Créateur Dieu se vide de sa divinité. Il prend la forme d'un esclave. Il se soumet à la nécessité. Il s'abaisse. Son amour maintient dans l'existence, dans une existence libre et autonome, des êtres autres que lui, autres que le bien, des êtres médiocres. Par amour il les abandonne au malheur et au péché. Car s'il ne les abandonnait pas, ils ne seraient pas. Sa présence leur ôterait l'être comme la flamme tue un papillon.”
Une réflexion de Simone Weil qui rejoint l’enseignement du judaïsme (que Simone Weil n’a pas reçu) sur le tsimtsoum, le retrait de Dieu pour que la Création advienne :
“Dieu commence par se retirer de lui-même, en lui-même. Par cet acte, il laisse au vide une place en son sein. Il se retire […], il crée un espace pour le monde à venir. […] Pour se manifester, il aura fallu qu'au préalable il se retire, qu'il laisse place à un néant à partir duquel la Création est possible.” (Marc-Alain Ouaknin, Tsimtsoum, Introduction à la méditation hébraïque, Albin Michel, 1992, p. 31)
Voir aussi, dans la mystique musulmane, Ahmad Ghazâli, Les intuitions des Fidèles d’amour, trad. Henry Corbin :
“Le papillon qui est devenu l’amant de la flamme, a pour nourriture, tant qu’il est encore à distance, la lumière de cette aurore. […] Mais il lui faut continuer de voler jusqu’à ce qu’il la rejoigne. Lorsqu’il y est arrivé, […] c’est lui qui est la nourriture de la flamme. […]”
C’est là « la nostalgie du “Trésor caché” aspirant à être connu [, qui] est le secret de la Création », nous dit Henry Corbin, dans L'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn ‘Arabî, éd. Aubier [1958] 1993, p. 121. Ce trésor caché est la beauté de Dieu, ce secret de la Création, qui habite la quête de cette lignée mystique qui va de Hallaj à Ibn ‘Arabi.
Un enseignement qui donne la Création comme un don de Dieu qui partage sa splendeur. Une Création qui relève d’un don de bonté, comme malgré tout. Dieu s'absente, dans le tsimtsoum, pour que le monde puisse advenir — “s'il n’abandonnait pas les hommes, ils ne seraient pas” (S. Weil). Nous n’adviendrions pas…
Mais “Son amour maintient dans l'existence […] des êtres autres que lui, autres que le bien, des êtres médiocres” (S. Weil).
“Je ne me pardonne pas d’être né. C’est comme si, en m’insinuant dans ce monde, j’avais profané un mystère, trahi quelque engagement de taille, commis une faute d’une gravité sans nom. Cependant il m’arrive d’être moins tranchant : naître m’apparaît alors comme une calamité que je serais inconsolable de n’avoir pas connue.” (Emil Cioran, De l'inconvénient d'être né, Œuvres p. 1279)
Un malgré tout du “trésor caché” qui se dévoile pour le bien, malgré tout, d’une Création à advenir. “Quelle est la principale fin de la vie humaine ? demande le premier point du catéchisme de Calvin :
C'est de connaître Dieu.
Pourquoi ?
Parce qu'il nous a créés et mis au monde pour être glorifié en nous. Et c'est bien raison que nous rapportions notre vie à sa gloire puisqu'il en est le commencement.
C’est là le souverain bien des hommes.”
Matthieu 13, 44 : “Le Royaume des cieux est comparable à un trésor caché”.
PS :
"Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais, et elles me suivent." (Jean 10, 27)
Or, quelle est la fin des brebis en ce temps ? Donner leur lait, leur laine, leur viande… par leur mort…
Cela pour entrer dans la vie d'éternité : "Je leur donne la vie éternelle ; et elles ne périront pas pour l'éternité, et personne ne les ravira de ma main." (Jean 10, 28)
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