Parlant de lois sociétales… « les députés espagnols ont adopté, le jeudi 16 février [2023], une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans – voire 12 ans sous certaines conditions. » (Le Courrier international, 17.02.23).
Quelques éléments de réflexion…
« L’assignation de rôles stéréotypés à chacun des deux sexes est une cause fondamentale du transsexualisme. Bien entendu, cette explication ne figure pas dans la littérature médicale et psychologique qui prétend établir l’étiologie du transsexualisme. Cette littérature ne remet nullement en cause les stéréotypes sociosexuels, au contraire, elle les considère comme des données et réduit l'origine du transsexualisme à des explications psychologiques […]. Tant que ces théories sur les causes du transsexualisme continueront de consister en une évaluation de l’adaptation ou de l’inadaptation des transsexuels en fonction de normes masculines ou féminines, elles passeront à côté de la vérité. A mon avis, la société patriarcale et ses définitions de la masculinité et de la féminité constituent la Cause première de l’existence du transsexualisme. Les organes et le corps du sexe opposé ne constituent que l’ “essence” du rôle que le transsexuel convoite » (Janice G. Raymond, L’Empire transsexuel, éd. Le Partage 2022, préface de 1979, p. 42).
« Loin de combattre les rôles et stéréotypes assignés à chaque sexe, et la domination masculine, le transsexualisme tend à renforcer “les bases institutionnelles du sexisme sous couvert de thérapie”. Qu’y a‑t-il d’émancipateur dans le fait de rejeter les rôles et les stéréotypes que le patriarcat assigne à un sexe pour se conformer à ceux qu’il assigne à l’autre sexe ? » (Janice G. Raymond, op. cit., 4e de couv.).
« La chirurgie de changement de sexe revient en quelque sorte à se tourner vers les dermatologues pour résoudre le problème racial » (Judith Shapiro, citée par Janice G. Raymond, op. cit., préface de 1994, p. 26). « Mais […] la plupart des noirs comprennent que c’est la société, et non la couleur de leur peau, qui doit changer » (J. Raymond, op. cit., préface de 1979, p. 18).
« Depuis [1979, date de parution du livre de J. Raymond, L’Empire transsexuel], le transsexualisme a intégré la nébuleuse plus vaste du transgenrisme, dont l’emprise ne cesse de s’étendre […] » (Janice G. Raymond, op. cit., 4e de couv.).
Problème politique, donc, plutôt que médical, auquel on peut ajouter, me semble-t-il, le problème philosophique : nous sommes des êtres de manque.
Deux corollaires au fait que nous sommes des êtres de manque : le mythe de la préexistence (nous existons avant de naître - cf. Platon) et en parallèle l’anima (qui est son équivalent psy - cf. Jung).
Le mythe platonicien est largement repris — “à l'insu du plein gré” des transactivistes, semble-t-il, parlant invariablement de personnes “piégées dans le mauvais sexe”, “tombées dans le mauvais corps”, etc. —
Réarrangement du mythe platonicien qui conduit à penser que l’on serait sexué avant de naître, avant même le développement fœtal, avant d’être chromosomiquement XX ou XY, et qu’un traitement hormonal, et/ou chirurgical — voire actuellement une simple auto-déclaration préfectorale (éventuellement permise constitutionnellement !) — permettrait de réintégrer le “bon corps” imaginé à partir d'un équivalent approximatif du mythe platonicien…
Il n’est pas inutile de rappeler que le mythe, développé dans le dialogue de Platon Le Banquet, sous le titre de “Discours d'Aristophane”, explique le fait que la venue dans le temps (la naissance) nous laisse un manque, le manque de la partie de nous-mêmes dont nous perdons la mémoire en naissant (l’anima dans la vocabulaire jungien). Nous naissons nostalgiques de la partie manquante, l'ombre — en général féminine pour les hommes, masculine pour les femmes. (Élément de philosophie à considérer quand même concernant le phénomène "transgenre", qui va jusqu'à viser une inaccessible modification de la biologie du corps, de sa sexuation — fût-ce via des traitements hormonaux, voire chirurgicaux.)
Quête de la trace manquante… Jusqu’à percevoir, à bien lire le mythe, qu’elle n’existe pas en dehors de soi-même : elle n’est autre que sa propre anima. D’où un côté forcément désabusé, de toutes et tous, sans exception : le mythe veut nous dire pourquoi toutes et tous restons des êtres de manque. Avec, au cœur du mythe, le paradoxe qui est que cela donne un certain sens à la vie : un exil depuis la préexistence, mais du coup aussi, une mission : qu’est-ce que je suis censé apporter en ce temps bref de vanité (Ecclésiaste 9, 10) — et dans le corps unique et irremplaçable qui est le mien — avant de tirer ma révérence et de réintégrer ce que je suis avant de naître (Ecc 12, 7), qu’est-ce que je suis censé apporter du fait que je suis bel et bien né ? Pourquoi suis-je né là plutôt qu’ailleurs, quel est le sens de mes rencontres ? Quels sont les symboles de cette quête ? Etc.
RP