“Ce mot, Hitler l'a déshonoré à jamais” écrit Georges Bernanos en 1944. On ne l’utilisera donc plus. Mais quid de la chose que désignait ce mot ?
“Il n'y eut jamais de la part de Bernanos, même […] quand il se situait à la pointe du combat contre le régime de Pétain, de global ni fondamental rejet de l'antisémitisme, mais, plutôt, en 1948, l'année de sa mort, une sorte de répudiation, esquissée, inachevée, avec une motivation superficielle : ‘Ce mot (“antisémite”) Hitler l'a déshonoré à jamais’.” (Arnold Mandel, “Un texte trop oublié”, Le Monde, 6.10.1978.)
Bernanos, cité en entier : “Il y a une question juive. Ce n'est pas moi qui le dis, les faits le prouvent. Qu'après deux millénaires le sentiment raciste et nationaliste juif soit si évident pour tout le monde que personne n'ait paru trouver extraordinaire qu'en 1918 les alliés victorieux aient songé à leur restituer une patrie, cela ne démontre-t-il pas que la prise de Jérusalem par Titus n'a pas résolu le problème ? Ceux qui parlent ainsi se font traiter d'antisémites. Ce mot me fait de plus en plus horreur, Hitler l'a déshonoré à jamais.” (Bernanos, 24 mai 1944 dans O Jornal, presse brésilienne, reproduit dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes (1948), Gallimard, p. 421-422.)
Le mot est déshonoré, il faut le remplacer pour désigner la chose — qui n'a pas disparu ! Qui aujourd’hui confesserait être antisémite, quand bien même il manifesterait tout ce qui caractérise la chose ? Le mot étant déshonoré, il faudra en trouver un autre…
En 1965, Vladimir Jankélévitch en a noté un, qui désigne la même chose — un autre nom toujours pas déshonoré à ce jour, “antisioniste” : “L'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d'être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort.” (Jankélévitch, L'Imprescriptible.)
RP
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