« De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : “Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous.” Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par là que j’étais responsable, dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : “un antisémite est forcément négrophobe.” Et il précisait : “Chacun de mes actes engage l’homme. Chacune de mes réticences, de mes lâchetés manifeste l’homme.” » (Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952 [Points Seuil 2015 p. 119])
Quand LFI s'avère avoir glissé à l'extrême droite…
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Jean-Paul Sanfourche m'écrit :
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La lecture de Fanon, en ces temps troublés, pourrait assurément aider certains sourds et aveugles à trouver aujourd’hui quelques repères, à moins qu’ils n’entretiennent leurs handicaps pour cultiver leurs radicalités sournoises !
J’ai retrouvé le passage de Peau noire, masques blancs (1952) – que tu connais évidemment – dans lequel Fanon fait l’expérience personnelle de ce rapprochement, même si les Réflexions sur la question juive de Sartre (1946) l’ont aussi certainement influencé. Dans le malaise profond et préoccupant que nous traversons, peut-être serait-il bon que nous le relisions tous :
« C’est au nom de la tradition que les antisémites valorisent leur "point de vue". C’est au nom de la tradition, de ce long passé d’histoire, de cette parenté sanguine avec Pascal et Descartes, qu’on dit aux Juifs : vous ne sauriez trouver place dans la communauté. Dernièrement, un de ces bons Français déclarait, dans un train où j’avais pris place : "Que les vertus vraiment françaises subsistent, et la race est sauvée ! À l’heure actuelle, il faut réaliser l’Union nationale. Plus de luttes intestines ! Face aux étrangers (et, se tournant vers mon coin), quels qu’ils soient."
Il faut dire à sa décharge qu’il puait le gros rouge ; s’il l’avait pu, il m’aurait dit que mon sang d’esclave libéré n’était pas capable de s’affoler au nom de Villon ou de Taine.
Une honte !
Le Juif et moi : non content de me racialiser, par un coup heureux du sort, je m’humanisais. Je rejoignais le Juif, frères de malheur.
Une honte !
De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : "Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par-là que j’étais responsable dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors, j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : un antisémite est forcément négrophobe." »
Fanon évoque l’antisémitisme « canal historique », si l’on peut dire, qui a nourri le Front National, avec lequel le Rassemblement National aurait rompu. L’antisémitisme de LFI, sous les oripeaux de l’antisionisme, est une stratégie électorale, instrumentalisant politiquement le conflit Hamas-Israël. Ce ne serait, selon Arié Alimi et Vincent Lemire, « qu’un antisémitisme contextuel » (Le Monde, 21 juin 2024). Comment cette pseudo distinction politiquement opportuniste pourrait-elle nous faire oublier que toute judéophobie est porteuse de haines et de violences ? Oui, tu as raison, LFI a « glissé » vers l’extrême droite et l’a rejointe.
Ceux qui instillent la haine (xénophobie et antisémitisme), la suscitent et l’exploitent sans complexe, la banalisent en en faisant un argument électoral voire un élément de programme politique à part entière, portent la responsabilité des futures fractures sociales et des violences qu’elles entraîneront immanquablement, quelle que soit l’issue de ces élections législatives à haut risque.
Fanon à raison de penser spontanément que le propos de son professeur avait une portée universelle. Portée qu’il conserve d’ailleurs dans le constat final qu’« un antisémite est forcément négrophobe ». C’est cette universalité qui doit éveiller nos consciences. Car, quand le ressentiment et la haine inspirent des campagnes politiques et motivent des choix électoraux, alors il n’y a plus ni juifs, ni noirs, ni blancs, ni jaunes, etc.., il n’y a plus que la haine et le rejet de l’autre. Et l’autre ce peut-être nous, c’est aussi nous, ce sera nous peut-être au bout d’un terrible chemin, pour peu que nous pensions différemment et que nous osions l’exprimer au nom de nos valeurs, de nos cultures et nos identités profondes.
L’antisémitisme équivaut au rejet de l’autre quel qu’il soit dans sa différence. Ce qui me fait dire ce que je pense et vis aujourd’hui profondément, douloureusement – et ce n’est pas un slogan de réseaux sociaux - : « Nous sommes tous juifs ».
Car nous serons tous, à des degrés divers, les victimes de décisions irréfléchies, d’impardonnables renoncements politiques, moraux, éthiques, d’abjects ralliements ou marchandages contre nature, et d’inavouables lâchetés.
” JP.Sanfourche
King Crimson - Epitaph (1969)
Cf. Boris Cyrulnik : « Mélenchon, c’est l’extrême droite »
Et ICI, la menace qui pèse.
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