Texte proposé par Jean-Paul Sanfourche
« … aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né
un Sauveur qui est le Messie, le Seigneur. » (Luc, 2,11)
un Sauveur qui est le Messie, le Seigneur. » (Luc, 2,11)
C’est en ces termes émouvants que le pasteur Dietrich Bonhoeffer, du camp de concentration bavarois de Flossenburg, écrivait à sa fiancée, Maria von Wedemeyer :
« […] Combien est grand le danger de se sentir livré à un hasard aveugle, de quelle manière pernicieuse la méfiance et l’amertume s’insinuent-elles dans notre cœur, et avec combien de facilité cette idée puérile nous conquiert, comme si nous étions dans notre vie, nos chemins et nos destinées entre les mains des hommes – et lorsque tout cela nous assaille au point que nous ne pouvons guère plus nous défendre, alors le message de Noël arrive juste au bon moment. Il nous dit que toutes nos pensées sont fausses, que ce qui nous paraît mauvais et obscur est en vérité bon et lumineux, parce que cela vient de Dieu ; ce sont nos yeux seulement qui nous trompent ; Dieu est dans la crèche, la richesse dans la pauvreté, la lumière dans la nuit, le secours dans l’abandon ; il ne nous arrive rien de mal ; […] Il n’est pas question ici de l’impassibilité stoïque vis-à-vis de tous les événements extérieurs, mais d’une souffrance et d’une joie véritable, parce que nous savons que le Christ est là présent. Maria bien-aimée, fêtons Noël de cette manière. Sois au milieu des autres, aussi gaie qu’on ne peut l’être qu’à Noël. Ne t’imagine pas des images horribles de moi dans ma cellule, mais simplement que le Christ traverse aussi les prisons, et qu’il s’arrêtera dans la mienne. »
L’auteur du « Prix de la Grâce », fidèle à l’éthique de la « suivance » (Nachfolge) comme réponse à Celui qui appelle, y compris dans la souffrance, adresse cette lettre – une de ses dernières lettres – à sa fiancée, le 13 décembre 1944. Il savait que leurs « destinées » ne s’uniraient pas. Pour avoir défendu les juifs persécutés et conspiré pour mettre un terme à un régime abominable, ses jours étaient comptés. Il le pressentait. Et sur cet arrière-plan tragique, nul mieux que lui n’a parlé en si peu de mots du « message de Noël ». Tant d’épreuves, tant d’injustices, tant de douleurs et d’humiliations auraient pu être le terreau du doute – qu’il a connu et dépassé à la prison de Tregen. Faisant la part du monde et du Royaume, qu’il ne sépare jamais, les unissant dans une « réalité totale », il affirme et rappelle que nos destins ne dépendent pas des hommes mais de Dieu seul. Au venin des passions tristes, la méfiance, la crainte, l’amertume, le ressentiment, il oppose un détachement qui n’a rien de stoïque. Au creux même de sa vulnérabilité et de son impuissance, il se soustrait sans angoisse à l’injustice des hommes en se livrant avec une confiance sans réserve à Dieu, de tout son amour, de toute son âme, de toute sa pensée.
Noël, pour Bonhoeffer comme il le faudrait aussi pour nous, c’est l’affirmation de la présence vécue de Christ, déjà là, dans nos vies, dans nos moments lumineux et nos nuits intérieures. C’est le moment des vraies questions que nous devrions sans cesse nous poser à nous-mêmes : nous croyons penser juste mais peut-être nous trompons-nous ? Nos certitudes seraient-elles entachées d’erreur ? Car nous sommes incapables de penser « en vérité ». Nos faibles intelligences ne nous permettent pas de voir la lumière que masquent les ténèbres, ni de comprendre le dessein de Dieu. Nos certitudes ne seraient-elles que leurres ? Noël est le moment du dépassement de soi. Dépassement chez Bonhoeffer qui n’est pas le résultat d’un effort intellectuel et volontaire sur soi, ou l’aboutissement d’une philosophie, mais l’accomplissement intérieur d’une vraie liberté, celle que donne la foi. Accomplissement tel qu’un homme qui a tant donné, qui a tant souffert, qui sera pendu dans quelques jours, est capable, dans un raccourci impressionnant, dans une logique suggérée et fulgurante, de déclarer : « Dieu est dans la crèche […] il ne nous arrive rien de mal. »
Noël est « le bon moment » dans l’âme humaine. Mais n’oublions pas ce que prêche aussi Maître Eckhart : « Noël, c’est chaque jour. »
Jean-Paul Sanfourche
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