vendredi 8 novembre 2024

Un mot déshonoré


“Ce mot, Hitler l'a déshonoré à jamais” écrit Georges Bernanos en 1944. On ne l’utilisera donc plus. Mais quid de la chose que désignait ce mot ?


“Il n'y eut jamais de la part de Bernanos, même […] quand il se situait à la pointe du combat contre le régime de Pétain, de global ni fondamental rejet de l'antisémitisme, mais, plutôt, en 1948, l'année de sa mort, une sorte de répudiation, esquissée, inachevée, avec une motivation superficielle : ‘Ce mot (“antisémite”) Hitler l'a déshonoré à jamais’.” (Arnold Mandel, “Un texte trop oublié”, Le Monde, 6.10.1978.)

Bernanos, cité en entier : “Il y a une question juive. Ce n'est pas moi qui le dis, les faits le prouvent. Qu'après deux millénaires le sentiment raciste et nationaliste juif soit si évident pour tout le monde que personne n'ait paru trouver extraordinaire qu'en 1918 les alliés victorieux aient songé à leur restituer une patrie, cela ne démontre-t-il pas que la prise de Jérusalem par Titus n'a pas résolu le problème ? Ceux qui parlent ainsi se font traiter d'antisémites. Ce mot me fait de plus en plus horreur, Hitler l'a déshonoré à jamais.” (Bernanos, 24 mai 1944 dans O Jornal, presse brésilienne, reproduit dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes (1948), Gallimard, p. 421-422.)

Le mot est déshonoré, il faut le remplacer pour désigner la chose — qui n'a pas disparu ! Qui aujourd’hui confesserait être antisémite, quand bien même il manifesterait tout ce qui caractérise la chose ? Le mot étant déshonoré, il faudra en trouver un autre…

En 1965, Vladimir Jankélévitch en a noté un, qui désigne la même chose — un autre nom toujours pas déshonoré à ce jour, “antisioniste” : “L'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d'être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort.” (Jankélévitch, L'Imprescriptible.)

RP

mardi 15 octobre 2024

Bouc émissaire dévoilé



"Là s'assembleront les aigles" (Mt 24, 28)


Permanent signe des temps, démultiplié et devenu pluriel, l'idée de bouc émissaire a traversé l’histoire que l’on va visiter. Cette idée évoque un rite décrit dans le livre biblique du Lévitique (ch. 16, v. 20-22) : le grand desservant du Tabernacle, puis du Temple, par une imposition des mains symbolique, fait reposer sur un bouc (l’animal) tous les péchés du peuple. Chassé dans le désert, le bouc les y emporte. Le rite permet en principe d’éviter au peuple de persécuter un individu ou un groupe minoritaire en faisant reposer sur lui sa culpabilité. Le phénomène a été mis en lumière par René Girard, écrivant qu’à défaut de la compréhension du rite, les sociétés font communément reposer leur culpabilité sur une minorité, le plus souvent les juifs… Le premier pogrom antijuif signalé par les historiens a eu lieu dans l’Égypte païenne du 1er siècle, le dernier à ce jour a eu lieu le 7 octobre 2023. À y être attentif, le 7 octobre et ses suites en Occident comme dans le monde arabo-musulman, marquent un apogée de l'antisionisme, qui le fait apparaître comme révélant l’essence de l’antisémitisme : à savoir le judaïsme comme bouc émissaire de la culpabilité des sociétés religieuses (Chrétienté comme Islam) ou laïques : la civilisation moderne et contemporaine — puisque l’on va parler de la Chrétienté et de son effondrement.

Moment significatif de la Chrétienté occidentale : la canonisation d’un roi, Louis IX, mieux connu comme Saint Louis ; canonisé pour sa fidélité à la papauté et à la théologie de la croix qui apparaît alors ; et parce que comme roi, il combat les “ennemis de la croix” : les musulmans, en participant à la huitième croisade, les hérétiques en achevant la croisade contre les cathares en Albigeois, les juifs en limitant leur impact par l’imposition de la rouelle jaune, reprise au monde musulman selon les décisions du pape Innocent III et du IVe concile du Latran, cela accompagné du brûlement de Talmuds à Paris en place de Grève. Dès son vivant il est populaire. La théologie de la croix le conduit à l'achat très onéreux de reliques comme celle de “la vraie croix”, ou de la couronne d'épines, pour Notre Dame et la sainte Chapelle. La croix sauve, mais culpabilise aussi : on a tué le Fils de Dieu. Aussi les départs en Croisade contre les “ennemis de la croix” se sont accompagnés de pogroms contre les juifs, réputés “déicides”, “ennemis du crucifié” par excellence… On se décharge sur eux de la culpabilité…

La Chrétienté s'effondrera, remplacée par la civilisation moderne. Le phénomène va-t-il cesser ? Pas du tout : la civilisation moderne, libérale, est largement redevable à l’usage de la Bible hébraïque par ceux, protestants, qui la mettent en place. Or, le libéralisme politique est accompagné par le libéralisme économique, avec ses effets pervers en matière d'écarts de richesse. Bible hébraïque ? Juifs donc, qui deviendront les boucs émissaires recevant la culpabilité des effets pervers du libéralisme économique. Par la gauche, avec les philosophes des Lumières, de Voltaire à l’hégélianisme et au marxisme, en passant par Proudhon, qui dénonceront le refus des juifs de s’assimiler et leur “cosmopolitisme”. Par la droite, nostalgique de l'Ancien Régime, qui leur reproche et leur rôle dans l’avènement de la civilisation libérale, et leur rôle dans la critique socialiste des effets pervers du capitalisme. On reconnait les années 1930, avec le nazisme qui reproche aux juifs un “cosmopolitisme” à la fois capitaliste et bolchevique.

La gauche n’est toujours pas en reste : un des effets pervers les plus évidents du capitalisme est le colonialisme qu’elle a promu !, suscitant donc un sentiment de culpabilité, qu’elle fera reposer, bouc émissaire, sur les juifs, devenus, en Israël, le type de l’homme colonialiste. Où l’antisionisme révèle bien cette essence de l’antisémitisme, où la gauche occidentale rejoint l’Islam politique pour lequel, comme pour la Chrétienté (mais sans théologie de la croix, évidemment), les juifs — et les autres minorités “du Livre” (cf. Les Arméniens chrétiens et leur génocide par les Turcs) —, sont “protégés” de façon arbitraire comme dhimmis, “protection” qui les laisse en proie à la menace de violences chaque fois qu’il faut se purger de ses propres échecs et de la culpabilité de ces échecs.

La culpabilité d’un monde issu de la Chrétienté (des USA à la Russie incluse) où l’on se renvoie la faute coloniale les uns aux autres, porte désormais contre les juifs et rejoint dans l’antisionisme par lequel il se déploie l’antisémitisme arabo-musulman, appuyé sur des textes tardifs, comme la Sira d'Ibn Hisham reprenant certains hadiths. Conjonction des culpabilités qui se rejoignent dans l’antisionisme continuant à faire des juifs les boucs émissaires de ces culpabilités.

(Signes des temps et civilisation moderne, introduction à L’État, le judaïsme et la Chrétienté, conférence donnée par R. Poupin pour l'AJC d'Arcachon le 15.10.2024. Voir ici le texte en entier.)

RP


samedi 5 octobre 2024

Cynisme ou naïveté confondante ?



Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Patrick Hetzel, a été dénoncé par Mélenchon, déplorant qu'il ait « dit que comme l’université est laïque, il ne faut pas parler de Gaza ». Mais, « parler de géopolitique n’est pas attentatoire à la laïcité », a-t-il poursuivi.

Eh bien, si : dans ce cas, c'est bien la laïcité qui est en jeu, si du moins on sait que la laïcité a été mise en place pour lutter contre le catholicisme politique de l'époque. Le catholicisme, depuis Vatican II, a abandonné ses nostalgies d'une Chrétienté politique, ce qui n'est pas le cas de l'Islam, notamment dans sa mouvance au pouvoir à Gaza, en Afghanistan, en Iran, ou sous le Hezbollah, qui tous persécutent les laïques (à l'instar de leur alliés en théologie Al-Qaïda ou Daesh). C'est donc bien de laïcité qu'il s'agit, celle qu'attaquent systématiquement ceux dont les mélenchoniens s'avèrent être les alliés, au moins objectifs, allant de l'islamisme au pouvoir en Turquie ou en Iran, à celui du Maghreb, en passant par celui du pouvoir taliban. Il faut se réveiller ! On n'est plus en 1789, ni en 1905, ni même au temps du FLN laïque de la guerre l'Algérie, mais bien face à un Islam politique contemporain, plus anti-laïque que ne l'a jamais été le Vatican dans ses phases les plus intolérantes !

Cynisme ou naïveté confondante ? La question dans le conflit mondial actuel qui fait rage au Proche-Orient est bien théologique. Ou bien l'islamisme et ses références, terribles pour tous les non-islamistes à commencer par les juifs, à continuer par les chrétiens pour ne rien dire des "apostats", atroces pour les femmes, ou bien la possibilité d'une ouverture vers d'autres lectures des textes fondateurs, et notamment du Coran : une lecture qui, pour commencer, ne prône pas l'extermination d'Israël et des juifs. Ce type de lecture est possible (cf. l'islamologue Eliezer Cherki), une lecture qui permette dans le monde arabe une acceptation d'une terre de juifs qui se soient pas dhimmis.

Où il serait question d'étude laïque (i.e. non dominatrice, ici non-islamiste) des religions… Hélas il semble, quand on nie que l'islamisme du Hamas ou du Hezbollah pose problème à la laïcité, qu'on en soit loin !

mercredi 25 septembre 2024

Le système Hamas


« Si les Arabes déposaient leurs armes aujourd’hui, il n’y aurait plus de violence. Si les Juifs déposaient leurs armes aujourd’hui, il n’y aurait plus d’Israël » (Golda Meir)

vendredi 6 septembre 2024

Le vide apparent



Un article du pasteur Michel Jas

« Dans le judaïsme, ce n’est pas parce que nous avons perdu (par la persécution) tous les textes théologiques talmudiques ou mystiques qui peuvent nous éclairer sur l’invention (ou la transmission à partir d’éléments plus anciens) de la kabbale en Languedoc que ce judaïsme pré-hassidique, piétiste et ésotérique n’a pas existé. Dans le christianisme de la fin du Moyen Âge les disputes philosophiques entre les franciscains plutôt augustiniens-platoniciens et les dominicains aristotéliciens avant et après la querelle des universaux nous ont laissé des traces, évidemment plus importantes, mais disséminées.
Les hérétiques sont comme les juifs, leurs œuvres ont été détruites (les A.T. en hébreu comme les Midrashim et le Talmud à peine trouvés étaient brûlés). On connait au sujet des cathares plus de textes de controverse catholiques à leur sujet, et d’inquisition, que leurs propres textes, dont certains ont été redécouverts, quand même, heureusement, malgré tout (4 rituels, deux traités, les originaux occitans du colloque de Montréal)…
Leur négation est un affront aux petits, aux minoritaires et à l’histoire… Je trouve formidable que certains membres du clergé catholique se soient intéressés à eux aux XIXe siècle et XXe (avant Vatican II), quand on pense que leurs devanciers au Moyen Âge voulaient à tout prix faire taire puis disparaître les traces de la dissidence… !
Les cathares avaient des rites particuliers qui ne ressemblent pas à quelque chose de ‘bricolé’ à la va vite, mais au contraire qui témoignent de quelque ancienneté.
Les cathares sont porteurs d’une théologie qui a sa place dans le mouvement des idées : il faut lire ce qu’ils ont écrit et la réponse de l’orthodoxie catholique de leur époque ! » […]

L'article complet ICI.

samedi 31 août 2024

L’Île des Morts

Sergei Rachmaninov - L’Île des Morts, Poème symphonique, Op. 29
Inspiré par le tableau d'Arnold Böcklin - L’Île des Morts
Vladimir Ashkenazy - Royal Concertgebouw Orchestra


Arnold Böcklin - L’Île des Morts

Version de Bâle, 1880

Version de New York, 1880

Version de Berlin, 1883

Version de 1884, détruite lors du bombardement de Rotterdam

Version de Leipzig, 1886


mercredi 10 juillet 2024

"Un État de type taliban"

« S’il existait aujourd’hui un État palestinien, il serait dirigé par le Hamas et nous aurions un État de type taliban. Un État satellite de l’Iran. Est-ce ce que les mouvements progressistes de la gauche occidentale veulent créer ? », s’est interrogé Salman Rushdieinterview au journal allemand Bild (19.05.2024).

« Il n’y a pas beaucoup de réflexions profondes à ce sujet, mais surtout une réaction émotionnelle aux morts à Gaza. C’est normal. Mais quand cela dérape vers l’antisémitisme et parfois même vers le soutien au Hamas, cela devient problématique », a-t-il ajouté.




lundi 8 juillet 2024

L'histoire d'un massacre


7 octobre 2023. Israël attaqué par le Hamas


Le plus grand pogrom de Juifs depuis la Shoah, raconté minute par minute. Film ICI :

vendredi 21 juin 2024

Un antisémite est forcément négrophobe



« De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : “Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous.” Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par là que j’étais responsable, dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : “un antisémite est forcément négrophobe.” Et il précisait : “Chacun de mes actes engage l’homme. Chacune de mes réticences, de mes lâchetés manifeste l’homme.” » (Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952 [Points Seuil 2015 p. 119])

Quand LFI s'avère avoir glissé à l'extrême droite


*

Jean-Paul Sanfourche m'écrit :

La lecture de Fanon, en ces temps troublés, pourrait assurément aider certains sourds et aveugles à trouver aujourd’hui quelques repères, à moins qu’ils n’entretiennent leurs handicaps pour cultiver leurs radicalités sournoises !

J’ai retrouvé le passage de Peau noire, masques blancs (1952) – que tu connais évidemment – dans lequel Fanon fait l’expérience personnelle de ce rapprochement, même si les Réflexions sur la question juive de Sartre (1946) l’ont aussi certainement influencé. Dans le malaise profond et préoccupant que nous traversons, peut-être serait-il bon que nous le relisions tous :

« C’est au nom de la tradition que les antisémites valorisent leur "point de vue". C’est au nom de la tradition, de ce long passé d’histoire, de cette parenté sanguine avec Pascal et Descartes, qu’on dit aux Juifs : vous ne sauriez trouver place dans la communauté. Dernièrement, un de ces bons Français déclarait, dans un train où j’avais pris place : "Que les vertus vraiment françaises subsistent, et la race est sauvée ! À l’heure actuelle, il faut réaliser l’Union nationale. Plus de luttes intestines ! Face aux étrangers (et, se tournant vers mon coin), quels qu’ils soient."
Il faut dire à sa décharge qu’il puait le gros rouge ; s’il l’avait pu, il m’aurait dit que mon sang d’esclave libéré n’était pas capable de s’affoler au nom de Villon ou de Taine.
Une honte !
Le Juif et moi : non content de me racialiser, par un coup heureux du sort, je m’humanisais. Je rejoignais le Juif, frères de malheur.
Une honte !
De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : "Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par-là que j’étais responsable dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors, j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : un antisémite est forcément négrophobe." »


Fanon évoque l’antisémitisme « canal historique », si l’on peut dire, qui a nourri le Front National, avec lequel le Rassemblement National aurait rompu. L’antisémitisme de LFI, sous les oripeaux de l’antisionisme, est une stratégie électorale, instrumentalisant politiquement le conflit Hamas-Israël. Ce ne serait, selon Arié Alimi et Vincent Lemire, « qu’un antisémitisme contextuel » (Le Monde, 21 juin 2024). Comment cette pseudo distinction politiquement opportuniste pourrait-elle nous faire oublier que toute judéophobie est porteuse de haines et de violences ? Oui, tu as raison, LFI a « glissé » vers l’extrême droite et l’a rejointe.

Ceux qui instillent la haine (xénophobie et antisémitisme), la suscitent et l’exploitent sans complexe, la banalisent en en faisant un argument électoral voire un élément de programme politique à part entière, portent la responsabilité des futures fractures sociales et des violences qu’elles entraîneront immanquablement, quelle que soit l’issue de ces élections législatives à haut risque.

Fanon à raison de penser spontanément que le propos de son professeur avait une portée universelle. Portée qu’il conserve d’ailleurs dans le constat final qu’« un antisémite est forcément négrophobe ». C’est cette universalité qui doit éveiller nos consciences. Car, quand le ressentiment et la haine inspirent des campagnes politiques et motivent des choix électoraux, alors il n’y a plus ni juifs, ni noirs, ni blancs, ni jaunes, etc.., il n’y a plus que la haine et le rejet de l’autre. Et l’autre ce peut-être nous, c’est aussi nous, ce sera nous peut-être au bout d’un terrible chemin, pour peu que nous pensions différemment et que nous osions l’exprimer au nom de nos valeurs, de nos cultures et nos identités profondes.

L’antisémitisme équivaut au rejet de l’autre quel qu’il soit dans sa différence. Ce qui me fait dire ce que je pense et vis aujourd’hui profondément, douloureusement – et ce n’est pas un slogan de réseaux sociaux - : « Nous sommes tous juifs ».

Car nous serons tous, à des degrés divers, les victimes de décisions irréfléchies, d’impardonnables renoncements politiques, moraux, éthiques, d’abjects ralliements ou marchandages contre nature, et d’inavouables lâchetés.
JP.Sanfourche



King Crimson - Epitaph (1969)



Cf. Boris Cyrulnik : « Mélenchon, c’est l’extrême droite »
Et ICI, la menace qui pèse.


samedi 8 juin 2024

Israël-Palestine, un passé qui ne passe pas



Face aux idées reçues à propos du conflit israélo-palestinien, il faut rétablir quelques vérités historiques concernant la Nakba, le droit au retour ou les intentions génocidaires, explique l’historien Georges Bensoussan.

Extraits :

[…] Dans le narratif arabe, la mémoire des Juifs du monde arabe a disparu, comme si les Israéliens n’étaient habités que par la seule mémoire de la Shoah, comme si l’État d’Israël s’était figé à l’heure du procès Eichmann en 1961. En oubliant que la moitié de la population israélienne d’aujourd’hui est constituée de descendants de Juifs arabes évincés (et spoliés pour beaucoup) de leurs patries de naissance.

Évoquer la Nakba sans un mot pour ces Israéliens originaires du monde arabe (ou leurs descendants) laisse entendre que les États arabes n’auraient aucune responsabilité dans le départ de ces antiques communautés présentes bien avant l’arrivée de l’islam. C’est penser que seuls les Arabes palestiniens auraient l’apanage d’une mémoire traumatique. Or l’épuration ethnique des Juifs du monde arabe est pourtant une réalité reconnue, y compris même aujourd’hui par des Juifs antisionistes et sévères contempteurs de l’État d’Israël. « À la lumière des preuves récemment publiées par le Sénat irakien et par la police de l’époque, je pense qu’il est temps de repenser le sens de cet exode « volontaire ». « C’était une expulsion, note en avril 2024 l’universitaire d’extrême gauche Zvi Ben-Dor Benite , d’origine irakienne. Il ne fait aucun doute que l’État d’Israël nouvellement créé a attiré les Juifs et conclu des accords au-dessus de leurs têtes. Mais l’Irak a quand même déporté ses Juifs. »

La Franco-Syrienne Rima Hassan, native de Syrie, à la grande « surprise » des opposants à la dictature syrienne, comme Omar Youssef Souleimane, entre et sort librement de cet État ultrapolicier et militarisé. Cet étendard des droits de l’homme n’a visiblement aucune mémoire du calvaire enduré par les Juifs de son pays à l’époque de Hafez el-Assad. Toutefois, on n’en serait pas là si les Juifs avaient accepté de demeurer des dhimmis, comme le préconise l’article 31 de la charte du Hamas (adoptée le 18 août 1988), annulant, ce faisant, les réformes de l’empire ottoman de 1856.

L’amnésie fait tache d’huile et occulte systématiquement, comme le note l’historien français Pierre Vermeren, que les États arabes « ont chassé ou vendu leurs Juifs nationaux [un million de personnes au départ], ce qui a doublé la population juive israélienne ». Tandis que ces mêmes pays arabes, ajoute-t-il, « trouvent normal que l’État hébreu héberge des millions d’Arabes palestiniens ». Une amnésie qui alimente une stupéfiante inversion victimaire quand la purification ethnique prêtée à l’État d’Israël est bel et bien une réalité du monde arabo-musulman d’hier et d’aujourd’hui, comme lorsqu’en septembre 2023, dans une indifférence quasi générale, 120 000 Arméniens chrétiens du Haut-Karabakh étaient expulsés par l’Azerbaïdjan d’une patrie où leur présence est attestée bien avant l’arrivée de l’islam. […]

Article complet ICI. Et le "Que sais-je" de Georges Bensoussan Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950) ICI.

jeudi 6 juin 2024

Deux États ?

Solution à 2 États : “On se trompe ” : “On feint de ne pas comprendre que l’absence de 2 États n’est pas la cause du conflit, mais la conséquence.” (Ferghane Azihari)

Vidéo ici : https://x.com/i/status/1798407888320237793



… Suite : "Il y a bien plus d'Arabes qui prospèrent dans la petite nation juive qu'il n'y a de Juifs en sécurité dans le vaste monde que l'islam a forgé depuis les conquêtes du 7e siècle. Certains ont plus de boulot pour soigner leur rapport à l'Autre. Taire ce fait, c'est honnir la paix." (Ferghane Azihari)

Vidéo ici : https://x.com/i/status/1798431851452985541


Voir d'indispensables éléments d'histoire ICI.

mercredi 5 juin 2024

Quand l'UE réalise ce qu'elle finance...

Sur le "lien entre le contenu des manuels scolaires palestiniens et les massacres du 7 octobre."




"Dans un texte adopté le 11 avril [2024], le Parlement européen a déclaré qu’il « condamne les contenus problématiques et haineux qui encouragent la violence, propagent l’antisémitisme et incitent à la haine dans les manuels scolaires palestiniens, rédigés par des fonctionnaires financés par l’Union européenne, ainsi que dans le matériel pédagogique supplémentaire élaboré par le personnel de l’UNRWA et enseigné dans ses écoles ».

Le Parlement européen a également reconnu que ce matériel pédagogique, subventionné par l’argent des contribuables européens dans le cas des manuels de l’AP [Autorité palestinienne], a joué un rôle dans la radicalisation des habitants de Gaza avant l’assaut barbare du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre, au cours duquel plus de 1 200 personnes ont été tuées et 253 autres ont été prises en otage à Gaza."

(Extrait d'un article publié dans The times of Israël. Artcile complet ICI)

mercredi 29 mai 2024

Face à la défaite médiatique



Aujourd’hui, à Gaza, le visage de l’autre sombre… La stratégie inhumaine du Hamas l’a emporté, a piégé Israël. Les terroristes ont bâti leur inaccessibilité de telle sorte que n’apparaissent plus que des civils mutilés par les bombes, affamés, vision d’horreur médiatiquement démultipliée. Israël doit se rendre au réel de la défaite médiatique, sauf à faire de la parole de Jankélévitch une atroce prophétie : « L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort. » (Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible, 1965)

Une guerre contre un fascisme extrême ne se gagne pas que militairement. Aujourd’hui, elle se perd militairement quand les armes n’ont plus que la puissance, en regard de la monstruosité de la souffrance subie par les civils otages et boucliers du Hamas, de transformer inéluctablement les vainqueurs en bourreaux, vus comme génocidaires intentionnels. Israël doit à présent se mettre face au réel et admettre sa défaite médiatique, car c’est une défaite… sachant que l’heure est venue pour lui de soigner, entrant dans une autre lutte, pour une autre victoire, celle de l’humain contre l’inhumain, celle d'une toute nouvelle reconnaissance de l'autre.

Le conflit mondial contre les nouveaux totalitarismes sera sans doute long. Il ne se gagnera pas par les moyens des terroristes. Mais par un refus radical de leur ressembler. L’heure est au retour sur soi, techouva, changement d'optique.



King Crimson - Requiem

Cf. ICI : De 1492 au 7 octobre 2023 et suites

RP, 7 mars 2024

mercredi 15 mai 2024

Anachronique...



Un ami m'envoie un livre : Antisionisme, une histoire juive...

Les développements historiques de ce livre (voulant montrer que l'antisionisme est d'abord juif) sont utiles pour... justifier le sionisme !, à condition de corriger le vocabulaire, à commencer par celui du titre ("antisionisme...") ! L'emploi anachronique du mot "antisionisme" est-il honnête ? Cf. la citation ci-dessous (p. 20) : la traduction de l'allemand est fausse : le mot "antisionisme" n'est pas dans l'allemand, comme à aucun moment d'alors quant à l'usage du terme. Les supposés "antisionistes" du début du XXe siècle, ne se ralliant pas ou s'opposant à Herzl, sont simplement non-sionistes (pas d'usage du mot "antisionisme", inventé par Staline à l’occasion du complot des blouses blanches pour ne pas être taxé d'antisémitisme). Les effets de l'antisémitisme européen, culminant dans le nazisme et la Shoah, ont hélas donné raison à Herzl contre tous les non-sionistes jusque là en effet majoritaires. Et à présent, le projet sioniste ayant abouti : l'Etat d'Israël, que peut vouloir dire "antisionisme", sinon son démantèlement - pour imaginer quoi concernant les sept millions de juifs israéliens ? Imaginer un autre fonctionnement de la relation actuelle (catastrophique) avec les Palestiniens (deux Etats, un Etat binational, une fédération, etc.) n'est pas "antisioniste", sauf à imaginer la disparition, un exil ?, vu la réalité des choses, des juifs de la région... qui seraient accueillis dans lequel des pays du monde (avec le même enthousiasme que dans les années 1930-1940, et même après guerre, quand se fermaient les portes aux persécutés du nazisme ?) - à notre époque où monte un néo-antisémitisme se revendiquant antisioniste ?...

Autre anachronisme : parler, à propos des évangéliques pré-sionistes du XVIIe s., d'antisémitisme, mot référant à la racisation "scientifique" des juifs, qui ne sera inventé que deux siècles plus tard, avec la mise en place de la chose...



jeudi 9 mai 2024

"Le néo-antisémitisme se répand d’une manière presque désinvolte"



Extraits d'un article de Grégory Solari, théologien et philosophe, publié sur La Croix le 07/05/2024. Article complet sur La Croix.


"Il n’a fallu que quelques jours pour que la victime devienne le bourreau. L’espace nécessaire pour que le tissu de représentations qui s’attachent au nom « Israël » précipite presque naturellement l’inversion de la perspective. Depuis lors, rien, ni l’étendue des massacres du 7 octobre, ni leur nature, pour ne rien dire des otages encore détenus, aucun argument ne vient modifier cette inversion lexicale.

Dans la rue, sur les réseaux sociaux, dans les campus, Israël se réduit aujourd’hui à un oxymore cumulant en un seul mot ce qui permet de passer presque sans transition de la compassion à la condamnation (« génocide »), sans scrupule, ou très peu, pour l’insulte que constitue ce glissement. Avec la bonne conscience d’un imaginaire [...] qui constitue le geste caractéristique du néo-antisémitisme depuis 1948, à savoir : jouer Israël contre le peuple juif.

Dissociation factice, mais commode, puisqu’elle permet depuis six mois de temporiser face à la montée croissante de la violence à l’endroit de tout ce qui se rattache fantasmatiquement au sionisme [...] rejoué sur la scène académique, [...] occupation relayée au même moment par un appel au boycott des institutions universitaires israéliennes [...] coïncid[ant] symboliquement avec le jour commémoratif de la Shoah (5 mai). C’est-à-dire avec l’événement qui a poussé les survivants des camps devenus apatrides et malvenus partout, ou presque, à la constitution de l’État hébreu.

Un refuge [...]
Comme l’écrit Emmanuel Levinas dans
Politique après ! (qu’il faut relire urgemment aujourd’hui), « le sionisme, prétendument pure doctrine politique, porte au plus profond de son être l’image renversée d’une certaine universalité et en est aussi le redressement. Cette écharde dans la chair n’est pas un droit à la pitié. C’est la mesure de l’étrange fermeté d’une intériorité, c’est-à-dire d’un manque d’appui dans le monde, de l’absence de toute “position de repli préparée à l’avance” et de toute issue. D’un dernier retranchement.
Telle est la terre même qu’Israël possède dans son État. L’effort de la bâtir et de la défendre se tend sous la contestation et la menace permanente et croissante de tous les voisins. État dont l’existence reste en question dans tout ce qui en constitue l’essence ; alors que la terre des nations politiques est toujours le fameux “fond qui manque le moins” et qui reste quand tout est perdu. Terre qui, pour Israël, est enjeu ou impasse. »

Chair d’Israël
Ce « fond » qui peut venir « à manquer », c’est non une terre. C’est la chair d’Israël – la réserve d’humanité dont le régime nazi a voulu priver le peuple juif. Comme l’idéologie du Hamas après lui (faut-il rappeler que parmi les otages détenus à Gaza figurent des survivants des camps ?).

Sous ce jour, la coïncidence avec le Yom Hashoah rend d’autant plus indécente mais hélas significative l’occupation des locaux de la faculté de science politique [...]. C’est ainsi, l’air de rien à l’air du rien (nihilisme), que se répand le néo-antisémitisme. De manière presque désinvolte, comme on répand une rumeur impossible à vérifier, dans les campus et dans les rues – une idée toxique empêchant de voir clair ou de penser, et peut-être bientôt de respirer."




mercredi 1 mai 2024

Psaume 90


Prière de Moïse, homme de Dieu.

‭Avant que les montagnes fussent nées, Et que tu eusses créé la terre et le monde, D’éternité en éternité tu es Dieu.‭

Tu fais rentrer les hommes dans la poussière, Et tu dis : Fils de l’homme, retournez !‭

‭Car mille ans sont, à tes yeux, Comme le jour d’hier, quand il n’est plus, Et comme une veille de la nuit.‭

‭Tu les emportes, semblables à un songe, Qui, le matin, passe comme l’herbe :‭

‭Elle fleurit le matin, et elle passe, On la coupe le soir, et elle sèche.‭

‭Nous sommes consumés par ta colère, Et ta fureur nous épouvante.‭

‭Tu mets devant toi nos iniquités, Et à la lumière de ta face nos fautes cachées.‭

Tous nos jours disparaissent par ton courroux ; Nous voyons nos années s’évanouir comme un son.‭

‭Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans, Et, pour les plus robustes, à quatre-vingts ans ; Et l’orgueil qu’ils en tirent n’est que peine et misère, Car il passe vite, et nous nous envolons.‭

‭Qui prend garde à la force de ta colère, Et à ton courroux, selon la crainte qui t’est due ?‭

Enseigne-nous à bien compter nos jours, Afin que nous appliquions notre cœur à la sagesse.

Reviens, Éternel ! Jusques à quand ?… Aie pitié de tes serviteurs !‭

‭Rassasie-nous chaque matin de ta bonté, Et nous serons toute notre vie dans la joie et l’allégresse.‭

‭Réjouis-nous autant de jours que tu nous as humiliés, Autant d’années que nous avons vu le malheur.‭

Que ton œuvre se manifeste à tes serviteurs, Et ta gloire sur leurs enfants !‭

Que la grâce de l’Éternel, notre Dieu, soit sur nous ! Affermis l’ouvrage de nos mains, Oui, affermis l’ouvrage de nos mains !


(Ps 90, 1-17, trad. lsg)


mercredi 10 avril 2024

Ré-existence des cathares ?

Image sur France Culture


France Culture, 8 avril 2024, Marguerite Catton interviewe l’historien Julien Théry, lui demandant d’entrée si les cathares ont existé. Elle a sans doute écouté l’émission diffusée quelque temps auparavant (21 septembre 2023), où, invité avec sa collègue Alessia Trivellone par Xavier Mauduit pour Le cours de l’Histoire, “Hérétiques, l'invention des cathares”, l’historien et sa collègue nous ont permis de savoir que ce mot n’aurait jamais été utilisé au Moyen Âge pour l'Occitanie.

Peut-être aussi l'intervieweuse a-t-elle consulté Wikipédia, article “Catharisme”, citant en note J. Théry à son appui : “Le nom de ‘cathares’ a été donné par les adversaires de ce mouvement et il faut noter qu'il est tout simplement absent des milliers de protocoles de l'Inquisition languedocienne, où il n'est mentionné par aucun inquisiteur, accusé ou témoin de la persécution, pas plus qu'il n'est présent chez quelque auteur médiéval ou dans quelque récit de la croisade albigeoise que ce soit.”

Passons sur l’incohérence de cette phrase… “Le nom ‘cathares’ a été donné par les adversaires de ce mouvement”… Mais il n’est pas mentionné, “pas […] présent chez quelque auteur médiéval”. Il faudrait savoir : donné par les adversaires du mouvement ou présent chez aucun auteur médiéval ?… On apprécierait une explication… peut-être de J. Théry, référé en note par Wikipédia pour appuyer cette proposition.

Mais revenons à France Culture. Réponse de J. Théry à Marguerite Catton : le mot “cathares” a bien été utilisé au Moyen Âge, dit-il ce 8 avril ! La surprise passée, je ne peux m’empêcher de penser à ce que son collègue de sa TV en ligne Le Média, Théophile Kouamouo, a appelé antan (2006), à propos d’un tout autre sujet, “révisionnisme évolutif”, qui consiste à finir par admettre l’inverse de ce que l’on a dit jusque là, en donnant l’impression que c’est déjà ce qu’on voulait dire quand on disait le contraire. Citons Th. Kouamouo, article “Révisionnisme évolutif” (Le Courrier d’Abidjan — n° 756, mercredi 5 Juillet 2006) : “[Après avoir donné une première version des faits,] on se rend vite compte qu’on n’a pas le monopole de l’information, qu’il y a des journaux [ou des historiens] […] qui répercutent les vérités qui nous dérangent […]. On réécrit donc l’Histoire falsifiée qu’on était en train de tenter d’imposer. Non pas en restituant ses droits à la vérité, mais en concédant ce qu’il est désormais impossible de ne pas admettre.” (Cf. infra, en note annexe, l'article complet de Th. Kouamouo *)

J. Théry nous assure que l’ “hérésie”, parfois nommée, donc, “cathare”, inexistante en soi, naîtra de sa persécution après son invention par la réforme grégorienne initiant un “cléricalisme” qui n'existait pas auparavant : en ce sens que l'Eglise catholique, jusque là, n’aurait pas requis que les sacrements fussent administrés par des clercs ordonnés ! (Sic !) Il faudra expliquer cela aux orthodoxes orientaux, qui seront sans doute ravis d’apprendre que leur pratique des sacrements et leur administration par des clercs ordonnés leur est venue de la réforme grégorienne occidentale ! De même que le pape François, cité par J. Théry, sera sans doute ravi d’apprendre que sa dénonciation du cléricalisme et de ses abus signifie une volonté de permettre aux laïcs d'administrer les sacrements de la même façon que les clercs ordonnés ! Et que dire des paroisses en souffrance de manque de prêtres pour célébrer l'eucharistie, d'apprendre que cela vient de la réforme grégorienne, et qu'ils vont bientôt pouvoir se passer de prêtres…

Passé la surprise, on se dit : il aura donc consulté des sources, ou… les travaux de Jean Duvernoy. Sur la réforme grégorienne et son lien avec l’hérésie, il n’est pas inutile en effet de réentendre Jean Duvernoy (Le catharisme. Vol. 2 : L’Histoire des cathares, Privat 1979, p. 79-80) :

"Du milieu du siècle à 1100, [le mouvement que les sources intitulent « manichéen », qui apparaît en Champagne, dans l'Aquitaine et à Toulouse, à Orléans, en Flandre, en Allemagne, en Italie,] disparaît de l'histoire, alors que triomphent la réforme grégorienne et les fondations d'ordres religieux nouveaux, consécutifs à une prédication populaire itinérante. C'est dans cet interrègne apparent de l'hérésie que Jean Gualbert, Bruno, Robert de Molesme, Etienne de Thiers, Girard de Salles, Vital de Mortain, Bernard de Turon, Robert d'Arbrissel, les moines d'Hirsau, Jean de Méda, soulèvent les foules avant de fonder Vallombreuse, la Chartreuse, Cîteaux, Grandmont, Savigny Fontevrault, les Humiliés, ou d'éphémères communautés de laïcs ; dans cette période aussi que l'anticléricalisme, ou du moins la censure ouverte du clergé contemporain, est la doctrine officielle de l'Eglise, et ceci à partir et sous l'impulsion de Pierre Damien ; dans cette période que la Pataria milanaise attaque avec de gros effectifs la hiérarchie conservatrice.
Pendant cette période, le mot d'hérésie est réservé, par le parti « grégorien », au clergé simoniaque et concubinaire ; par ce clergé aux partisans de la réforme
(1).
Le seul cas de répression, au cours de ce demi-siècle, est celui de Ramihrd, un prêtre brûlé par les gens de l'évêque de Cambrai en 1077 pour avoir refusé les sacrements des simoniaques (évêque compris). Grégoire VII lui donna raison et demanda à l'évêque de Paris d'excommunier la ville
(2).
On pourrait discuter longuement le point de savoir si, dans le tumulte de la querelle des investitures et de la réforme, les hérésies sont passées inaperçues, parce que leur prédication et leurs aspirations étaient en grande partie identiques à celles des réformateurs ; si au contraire elles n'ont plus trouvé d'adhérents, leur clientèle normale étant satisfaite par ailleurs, ou si enfin l'intense courant de foi active déclenché par la réforme a détourné en particulier vers la Croisade, la population de spéculations dogmatiques tendant à l'immobilisme ascétique
(3).
Le XIIe siècle est le siècle d'or des hérésies. Il y a à ce fait trois causes probables, qui agirent plus ou moins isolément.
Le mouvement ascétique et apostolique qui avait animé la réforme n'était pas éteint. Un Henri de Lausanne et même des personnages moins connus comme Eon de l'Etoile ou Pierre de Bruis furent des prédicateurs itinérants suivis de la foule. Henri bénéficia encore, parfois, de l'aval du haut-clergé, comme au Mans.
En s'affranchissant de la classe militaire par la suppression de la simonie et de la patrimonialité des prélatures, l'Eglise acquit une puissance temporelle considérable […]"
.

(1. Sur tous ces points, entre autres : H. Grundmann, Religiöse Bewegungen im Mittelalter, Hildesheim 1961 ; J. v. Walter, Die ersten Wanderprediger Frankreichs, Leipzig 1903 ; A. Fliche, Etudes de polémique religieuse à l'époque de Grégoire VII, Les prégrégoriens, Paris 1916 et travaux ultérieurs sur la réforme grégorienne ; A. Borst, Die Katharer, pp. 81 et ss., et en dernier lieu le chapitre Orthodox Reform and Heresy de M. Lambert, Medieval Heresy. Popular Movements from Bogomil to Hus, Londres 1977, pp. 39 et ss.
2. Chronique de Baudry, MGH SS. VII, p. 540 ; P. Fredericq, Corpus Inquisitionis hæreticæ pravitatis Neerlandicæ, Gand 1889, p. 11 ; trad. anglaise et discussion dans W.L Wakefield et A.P. Evans, Heresies of the high Middle Ages, New-York et Londres 1969, pp. 95-96.
3. Il va sans dire que le mouvement ascétique était loin d'être absent de la réforme grégorienne. Il est piquant de voir Grégoire VII imposer aux chanoines les trois carêmes de l'Eglise grecque… et des cathares (A. Fliche, op. cit. prox. supra, pp. 300-301). Fin de citation de Duvernoy.)

*

Certes, à l’instar de la réforme grégorienne, l’hérésie médiévale correspond à une réaction morale, comme le soulignait l’historien italien Raffaello Morghen écrivant judicieusement en 1951 dans son livre Medioevo cristiano, que le catharisme était largement une réaction morale contre la hiérarchie ecclésiastique d’alors (y compris pré-grégorienne).

Beaucoup mentionné, notamment par J. Théry, Morghen semble, hélas, peu lu (ou peu compris ?). Pour l’historien italien, en effet, dire que l'hérésie est une réaction morale ne la vide pas de son contenu doctrinal. Au colloque de Royaumont, en 1962, il précisait : « La prépondérance des motifs éthiques, au commencement de l'hérésie, sur les traditions doctrinales paraît ainsi largement confirmée par les sources du 11e siècle. C'est cela qui constitue spécialement un trait d'union entre les mouvements cathare et bogomile […]. Entre le bogomilisme et le catharisme, il y a des analogies évidentes, surtout en ce qui concerne la polémique contre la hiérarchie ecclésiastique, l'appel à la parole et à l'esprit de l'Evangile et le rigorisme moral. Plus tard, au 12e siècle, commencèrent des rapports attestés entre le monde hérétique de l'Orient balkanique et celui de l'Occident, dans lesquels on trouve des réminiscences d'anciennes traditions hétérodoxes, devenues désormais légende, mythe fabuleux, résidu psychologique. » (« Problèmes sur l'origine de l'hérésie au Moyen Âge », Hérésies et société, Actes du Colloque de Royaumont, 1962, p. 126-127.)

À bien le lire, Morghen ne cautionne pas les thèses récentes qui se réclament de lui, mais s’accorde sur le fond avec Duvernoy !…

Encore un effort, et la thèse universitaire des deux ou trois auteurs “majoritaires” à la soutenir, thèse dite “déconstructiviste”, finira par rejoindre, dans un processus évolutif non dit, celle des Duvernoy, Brenon, Roquebert…

*

* Note annexe

“Révisionnisme évolutif”, par Théophile Kouamouo, Le Courrier d’Abidjan — n° 756, mercredi 5 Juillet 2006 :

“Les historiens de la presse s’amuseront bien quand ils étudieront les journaux français de la période folle que nous vivons, autour du thème de la crise ivoirienne. Avec un peu de chance, ils développeront un concept : le « révisionnisme évolutif ». Au départ, on engage une action moralement scandaleuse — ici, il s’agit de l’organisation d’un coup d’Etat puis d’une rébellion armée en Côte d’Ivoire. Puis, on tente de travestir les faits de la manière la plus grossière possible. Mais on se rend vite compte qu’on n’a pas le monopole de l’information, qu’il y a des journaux sur les lieux des crimes qui répercutent les vérités qui nous dérangent, et qu’on a laissé des traces sur le lieu de notre forfait. On réécrit donc l’Histoire falsifiée qu’on était en train de tenter d’imposer. Non pas en restituant ses droits à la vérité, mais en concédant ce qu’il est désormais impossible de ne pas admettre. Sauf que la vérité, dans la crise ivoirienne, vient à compte-gouttes, progressivement, comme un puzzle dont le visage final sera la face la plus hideuse de la Chiraquie. Sauf que les nouvelles versions, quand elles s’empilent les unes sur les autres avec frénésie, finissent pas discréditer à jamais celui qui les diffuse.
On l’a vu avec l’affaire du massacre de l’Hôtel Ivoire, où Paris a dit tout et son contraire avant de se taire piteusement. Désormais, c’est le prétendu « bombardement » de la base française de Bouaké ** par les FDS dont l’Histoire est réécrite tous les jours, au fur et à mesure de l’instruction des plaintes des parents des victimes. Les journalistes qui se font un honorable devoir de toujours se porter au secours de leur armée et de leur gouvernement sur le théâtre des guerres coloniales, rappliquent pour expliquer au bon peuple l’histoire invraisemblable de Jacques Chirac, le président qui s’était précipité pour accuser son homologue ivoirien d’être à la base du bombardement de Bouaké, et qui paradoxalement aurait pris le risque d’une affaire d’Etat pour faire disparaître les preuves du forfait de son ennemi ivoirien. Parmi ces journalistes, Thomas Hofnung de
Libération qui a pondu un article rempli de contre-vérités « exclusives » pour faire semblant de dénoncer une prétendue complicité du gouvernement français avec Gbagbo au nom de la raison d’Etat, et mieux camoufler les mensonges et la mystification qui ont justifié l’entrée en guerre avec une ancienne colonie où de nombreux entrepreneurs français avaient des intérêts. Il est dommage que de nombreux journaux ivoiriens aient donné de l’ampleur à une mauvaise opération de propagande.”

** Pour le fin mot de l’affaire Bouaké, cf. le livre de l’avocat des familles des soldats français tués lors du bombardement de Bouaké : Me Jean Balan, Crimes sans châtiment, affaire Bouaké, Max Milo 2020 (préface du Gal Renaud de Malaussène, du commandement des forces française en Côte d’Ivoire au cours de l’année 2005).


RP, avril 24

À suivre ICI...


dimanche 31 mars 2024

Passé de la mort à la vie


‭Si vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d’en haut, où le Christ siège à la droite de Dieu.‭
‭Affectionnez-vous aux choses d’en haut, et non à celles qui sont sur la terre.‭
‭Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu.‭
‭Quand Christ, votre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire.‭
(Colossiens 3, 1-4)

“Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais, si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.”
(Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne)

Qui écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle et ne vient point en jugement, mais est passé de la mort à la vie.
(Jean 5, 24)

mercredi 13 mars 2024

Pour comprendre — les origines de…

… ce dont tout le monde parle, le plus souvent sans en savoir grand-chose…




Résumé (4ème de couverture)

La genèse du conflit israélo-arabe, dont l’actualité est surabondamment couverte par les médias, demeure paradoxalement mal connue.

Si c’est au sortir de la Première Guerre mondiale que se cristallise ce qui n’est pas seulement le choc de deux nationalismes, mais un affrontement culturel recouvert par un conflit « religieux » et d’innombrables polémiques sur la nature du projet sioniste, c’est bien avant 1914 qu’il a pris forme dans le discours à la fois des élites arabes, de la vieille communauté juive séfarade et des sionistes d’Europe orientale.

Ces discours, dominés par la propagande, Georges Bensoussan montre qu’ils sont à mille lieues d’une véritable connaissance historique. Ce faisant, il met en lumière l’importance de la dimension culturelle et anthropologique dans la connaissance d’un conflit dont aucun des schémas explicatifs classiques – du nationalisme au colonialisme en passant par l’impérialisme – n’est véritablement parvenu à rendre compte.

Cf. ICI, interview de G. Bensoussan et ICI, son article "Israël-Palestine, un passé qui ne passe pas"


Bruford Levin Upper Extremities - Original Sin (B.L.U.E. Nights, 1998)

vendredi 8 mars 2024

Et si l'idée n'était pas morte ?



"Il s'agit de s'inspirer de l'expérience de la coalition internationale contre Daech et voir quels aspects sont réplicables contre le Hamas. Nous sommes donc disponibles pour réfléchir, avec nos partenaires et Israël, aux pistes d'actions pertinentes contre le Hamas" (Prés. E. Macron, Jérusalem, 24 octobre 2023).

Seul moyen de ne pas laisser les victimes (Israël, les juifs, les otages du Hamas, le peuple palestinien captif du Hamas, les femmes), ne pas les laisser sombrer dans la défaite, après la défaite médiatique actuelle. Des signes ?… comme le port de secours proposé par les USA, approuvé par Israël (preuve supplémentaire qu'il n'a aucune visée génocidaire) ?

… puisque la menace islamiste, on le sait depuis le 11/09 — les femmes tout particulièrement le savent, depuis l'Iran, l'Afghanistan, Gaza… —, la menace est internationale !

*

Sauf à ce que le Hamas dépose les armes et libère les otages (seule revendication censée — mais que l'on n'entend pas — en faveur de Gaza !)…

Cf. ICI

RP, 8 mars 2024





jeudi 1 février 2024

Shoah





Contre la concurrence des mémoires. Le nazisme, un débouché :
« Chaque fois qu’il y a au Viêt-nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et […] au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et “interrogés”, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.
Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.
On s’étonne, on s’indigne. On dit : “Comme c’est curieux ! Mais, Bah ! C’est le nazisme, ça passera !” Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. » (Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme)



Cf. aussi "Exploiter les masses, exploiter la race. Une histoire du capitalisme" (avec Sylvie Laurent)

*

Ci-dessous un commentaire de Jean-Paul Sanfourche, qui nous situe entre désespérer et prier. En écho, Cioran écrivant : « L’enfer c’est la prière inconcevable »…

Jean-Paul Sanfourche :
Abondance de documents et de références dans ce blog au chapitre « De plus » en date du 1er de ce mois. Matière à réfléchir. Peut-être à désespérer.
À prier aussi.

Lanzmann, Césaire, Sylvie Laurent.
Shoah, Colonialisme, Capitalisme racial.


Des violences de même nature, qui se nourrissent aux mêmes sources. Qui alimentent encore et toujours un fleuve dont rien ne semble vouloir arrêter le cours. Sous l’égide d’un universalisme né avec le colonialisme, l’agressivité impérialiste sévit sans relâche. Il faut effectivement relire Edgard Quinet, cité dans ce discours par Césaire, pour comprendre, à travers la chute de Rome, son effet destructeur. Celui que nous sommes en train de vivre, parfois dans une monstrueuse inconscience, une complicité aveugle. Dans cette irrésistible « dynamique », nos apathies, au mieux nos révoltes impuissantes, sont nos culpabilités.
A ces documents d’une irréprochable actualité, je me permets d’associer un extrait du journal de Imré Kertész (L’Observateur, p.180-181), afin de comprendre « de quoi il s’agit en réalité ».

Les petits totalitarismes (le nazisme, le communisme etc.) ne sont en fait que les reflets du grand totalitarisme de plus en plus dynamique qu’en général – en comparaison avec ces petits totalitarismes – on appelle liberté, liberté politique. Plus précisément : ces totalitarismes et fondamentalismes nationaux sont des tentatives d’abandon ou de rupture de la laisse que leur a passée au cou la dynamique qui dicte la démarche du monde – principalement l’économie et la finance américaines. Les idéologies qui sont les principes dominants de ces petits totalitarismes faussent cette réalité si parfaitement que les dirigeants politiques de ces totalitarismes eux-mêmes ne connaissent pas exactement le contenu réel de leur activité et de leur but (…) Au début du soviétisme transparaissait encore « quelque chose d’autre », une sorte de résignation concernant les bien matériels, l’idéal de la vie communautaire, mais cela n’a duré qu’un moment (…) l’essentiel est que le diable niche dans les choses – la grande dynamique, la défense contre la liberté qui écrase tout va encore souvent prendre la forme de différents fascismes et ce n’est pas tout : outre l’antiaméricanisme criard et viscéral, personne ne saura de quoi il s’agit en réalité. »

C’est certainement ce « quelque chose d’autre » qui fait écrire à Césaire en 1950, dans son discours publié par les éditions communistes Réclame :

« C’est une société nouvelle qu’il nous faut, avec l’aide de tous nos frères esclaves, créer, riche de toute la puissance productive moderne, chaude de toute la fraternité antique. Que cela soit possible, l’Union Soviétique nous en donne quelques exemples… » Union Soviétique qui participait (tout le monde l’ignorait alors) de ce « grand totalitarisme ». Césaire, dans l’exaltation stalinienne du « réalisme soviétique », ignorait lui aussi, qu’il espérait en un monde qui n’était qu’une nouvelle « machine à écraser, à broyer, à abrutir les peuples. » En 1953, de Moscou, Césaire loue « l’œuvre grandiose » de Staline. Il est bien évident qu’il ne pouvait jouer plus longtemps les « idiots utiles » du totalitarisme, ni s’en accommoder. Et sa lettre à Thorez, en 1956, date à laquelle il rompt avec le PCF, nous permet de mettre en perspective ce pamphlet, frappé au lyrisme enthousiaste des néophytes, sans rien lui ôter de sa force et de son actualité. Il écrit :
« La lutte des peuples coloniaux contre le colonialisme (…) est beaucoup plus complexe que la lutte de l’ouvrier contre le capitalisme français. »

Il faut aussi citer des écrits ultérieurs de Césaire, sans nullement vouloir atténuer son propos, mais pour mieux l’éclairer et ainsi éviter de fâcheux contre sens, qui seraient une injure à son égard :

« Je n’ai jamais accepté de considérer que tous nos malheurs venaient des autres. Bien sûr, c’est toujours la faute à quelqu’un : à l’Europe, à Napoléon, à qui l’on voudra… Oui, mais depuis, deux ou trois siècles se sont écoulés ! Et dans l’intervalle, de nombreuses nations ont réussi à s’en sortir. J’en suis donc persuadé : nous avons une part de responsabilité (…). Il faut que l’Afrique se fasse une raison et cherche des voies de son propre salut. » (Aimé Césaire, Revue Jeune Afrique, publié en 1966).

Césaire n’a jamais, comme on l’insinue parfois, désigné l’Occident comme l’unique coupable. Car il savait « de quoi il s’agit en réalité ». Il connaissait les « principes dominants ».

Prier ? Après Shoah, j’ai relu intensément la conférence de Hans Jonas (Le concept de Dieu après Auschwitz.) « Quel Dieu a pu laisser faire cela ? » Le Dieu de l’Histoire s’effacerait-il derrière ce Dieu souffrant, en devenir, en péril et soucieux ? Serait-il « en agonie jusqu’à la fin du monde » comme l’écrit Pascal, le janséniste ? Lui apportons-nous toute l’aide dont il aurait besoin, s’étant dépouillé de sa toute-puissance ?

Sentinelle, où en est la nuit ?

samedi 27 janvier 2024

Khaybar et le 27 janvier 7 octobre



En ce 27 janvier, commémoration de la Shoah et de la libération du camp d'Auschwitz, Israël est toujours menacé de génocide, quoiqu'il en soit des tentatives de renversement de la réalité.

Le fameux cri dans les manifestations pro-Palestine en Europe,
Khaybar Khaybar ya Yahud, jaysh Muhammad sawfa ya'ud (« Khaybar, Khaybar, ô Juifs, l'armée de Mahomet va revenir »), fait référence au passage ci-dessous de la Sira d’Ibn Hishâm (datant de deux siècles après les événements supposés — sans doute inventés). Khaybar est l'oasis où était la tribu juive des Banu Nadir (selon la Sira l'autre tribu juive massacrée outre celle des Banu Kurayza aux 900 égorgés par le prophète de l’islam). Le texte dit que Safiya est "prise pour épouse" par Muhammad le jour où sont assassinés son mari et son père (que serait-ce d'autre qu'un viol ?).
Chose sans rapport avec l’horreur du 7 octobre ? Les idiots utiles de l’Onu ne savent pas ? Non plus que les autres idiots utiles qui défilent avec des fanatiques qui hurlent cette référence comme menace actuelle !


Histoire de Çafiyya, mère des Croyants (Sîra, II, 636)

Les captives de Khaybar furent largement réparties entre les musulmans. Le Prophète eut en partage Çafiyya, fille de Huyayy ibn Akhtab (l'un des chefs des Banû Nadir exilés de Médine à Khaybar) et deux de ses cousines. Il garda pour lui Çafiyya et donna les deux cousines à l'un de ses compagnons de combat, Dihya ibn Khalifa, qui avait pourtant souhaité avoir Çafiyya. Bilâl, le muezzin, l'avait ramenée avec l'une de ses compagnes. Il passa avec les deux captives au milieu des cadavres des juifs tués au combat. À cette vue, la compagne de Çafiyya éclata en sanglots, se déchirant le visage et couvrant de terre ses cheveux. La voyant dans cet état, le Prophète dit : « Éloignez de moi cette furie satanique ! » Et il fit venir Çafiyya, la fit asseoir derrière lui et jeta sur elle son manteau : les musulmans comprirent que le Prophète se la réservait. Puis, il fit des reproches à Bilâl : « As-tu donc, Bilâl, totalement perdu tout sentiment de pitié au point de faire passer ces femmes devant les cadavres de leurs hommes ? » Çafiyya avait vu en songe, lorsqu'elle était mariée à Kinâna ibn Rabî', qu'une lune était tombée dans son sein. Elle avait raconté ce songe à son mari. « Cela ne veut dire qu'une chose, c'est que tu désires avoir Muhammad, le roi du Hijâz. » Et, furieux, il lui avait donné une gifle si forte qu'elle en eut l'œil poché. Elle en portait encore la marque lorsqu'on l'amena auprès du Prophète. Et c'est elle qui lui raconta ce songe et son histoire.
Çafiyya fut peignée, maquillée et préparée pour le Prophète par Umm Anas ibn Mâlik. Il passa sa première nuit avec elle sous une tente ronde.
Abû Ayyûb, un compagnon du Prophète, passa la nuit, le sabre à la taille, à monter la garde autour de la tente. Le lendemain matin, à son réveil, le Prophète le vit rôder autour de sa tente :
Que fais-tu ici ? lui demanda-t-il.
Envoyé de Dieu, cette femme a suscité en moi des craintes pour ta vie. Tu as déjà tué son père, son mari et sa famille. Sa conversion à l'islam est toute récente et cela m'a inquiété pour toi.
Seigneur Dieu, protège Abû Ayyûb, comme il a passé la nuit à me protéger.

Auparavant, concernant le mari de Çafiyya : Hudaybiyya ou la trêve…
Le trésor des Banû Nadîr
(Sira, II, 336-337)

On amena auprès du Prophète Kinâna ibn Rabî', le mari de Çafiyya, qui détenait le trésor des Banû Nadîr. Le Prophète lui demanda de révéler où était le trésor. Kinâna affirma n'en rien savoir. Un juif s'approcha et le dénonça au Prophète : J'ai vu Kinâna rôder tous les matins autour de cette maison en ruine.
Vois-tu, Kinâna, lui dit le Prophète, si nous trouvons le trésor chez toi, je te tuerai.
Tu me tueras, mais je n'en sais rien.
Puis le Prophète ordonna de creuser la terre dans la maison en ruine. On y trouva une partie du trésor. Où est le reste du trésor ? demanda le Prophète. Je ne sais pas, répondit Kinâna.
Le Prophète ordonna alors à Zubayr ibn al-'Awwâm de le torturer jusqu'à ce qu'il livre son secret. Zubayr lui brûlait sans cesse la poitrine avec la mèche d'un briquet, mais en vain. Voyant qu'il était à bout de souffle, le Prophète livra Kinâna à Muhammad ibn Maslama, qui lui trancha la tête.

(Ibn Hishâm, Sira, trad. Wahib Atallah, éd. Fayard p. 315-317)

jeudi 11 janvier 2024

7 octobre - l’horreur des viols


Article par Julia Christ :

« Que dire des crimes sexuels perpétrés par les hommes du Hamas le 7 octobre – documentés un peu plus chaque jour par le travail d’un groupe israélien de gynécologues, médecins légistes, psychologues et juristes du droit international ? Et comment comprendre l’occultation de la violence faite aux femmes ce jour-là par une partie de l’opinion mondiale – supposées "féministes" comprises ? Cette occultation ne revient-elle pas à faire une deuxième fois violence à ces femmes, comme si leur calvaire ne comptait pas et était dépourvu de signification ? »

L'article complet ICI...

lundi 8 janvier 2024

Le 7 octobre et la théologie de la substitution



Le pogrom du 7 octobre n’est pas sans lien avec la théologie de la substitution en islam. Comme le christianisme a considéré unanimement jusqu'à il y a peu que l'Église aurait été substituée à Israël — c'est ce que l'on appelle à présent "théologie de la substitution" —, mutatis mutandis, l'islam a fait de même, considérant s'être substitué au judaïsme et au christianisme (ce qui fonde le statut de dhimmi et implique l'impossibilité, entre autres, d'un État juif souverain sur une terre revendiquée "musulmane"). Comme on apprend actuellement en christianisme à lire les Évangiles dans leur contexte juif (suite à Jules Isaac et à son Jésus et Israël) et non à partir du christianisme constitué par la suite, l'islam devra apprendre à lire le Coran dans son cadre historique initial (c'est la méthode proposée par Le Coran des historiens). Ainsi on doit pouvoir lire la guerrière (apparemment) Sourate 9 du Coran non à l’aune de textes tardifs comme la Sira d’Ibn Hichâm ou de hadiths guerriers et tardifs, mais en regard du contexte judéo-chrétien de l’islam en gestation…

Ibn Hichâm écrit : « […] le Prophète ordonna de tuer tous les hommes des Banu Quraydha [tribu juive], et même les jeunes […].
Le Prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banû Quraydha et de les enfermer dans la maison de Bint al-Hârith. Il alla ensuite sur la place du marché de Médine, la même que celle d'aujourd'hui (du temps d'Ibn Hichâm), et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Banû Quraydha par petits groupes et leur coupa la gorge sur le bord des fossés. Parmi eux, il y avait Huyayy ibn Akhtab, l'ennemi de Dieu, et Ka'b ibn Asad, le chef des Quraydha. Ils étaient six cents à sept cents hommes. On dit huit cents et même neuf cents. Pendant qu'ils étaient amenés sur la place par petits groupes, certains juifs demandèrent à Ka'b, le chef de leur clan : - Que va-t-on donc faire de nous ?
- Est-ce-que cette fois vous n'allez pas finir par comprendre ? Ne voyez-vous pas que le crieur qui fait l'appel ne bronche pas et que ceux qui sont partis ne reviennent pas ? C'est évidemment la tête tranchée ! Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu'à leur extermination totale. » (Ibn Hichâm, Sira, trad. Wahib Atallah, La biographie du Prophète Mahomet, éd. Fayard p. 277, chapitre « Le “jihad” contre les juifs… » — Sira, II, 240-241.)

(Voir aussi, toujours selon Ibn Hichâm, le sort des Banu Nadir (autre tribu juive) et de ses femmes…)

Sourate 9, At-Tawba (trad. Blachère) : Quand les mois sacrés seront expirés, tuez les Infidèles quelque part que vous les trouviez ! Prenez-les ! Assiégez-les ! Dressez pour eux des embuscades ! […] (Cela sur le modèle de la razzia antéislamique. NB : les infidèles ici désignent probablement les “idolâtres” — cf., dans le discours islamiste, par ex. les Yézidis ; mais l’idée peut s’entendre aussi des juifs, chrétiens ou musulmans non islamistes, donc “apostats”.)

Proposition sans théologie de la substitution : les textes difficiles du Coran, comme cette Sourate 9, ne sont pas à lire en regard de la Sira, écrite au 8e ou 9e s., ou des hadiths qui l’inspirent — qui font du prophète de l’islam un massacreur, mais à lire en regard, par ex. d’un texte comme Matthieu 13, 24-43, la parabole de l’ivraie et son explication, où la séparation du bon grain et du mauvais est renvoyée au jugement final. De même, les “mois sacrés” de la Sourate 9 pourraient être à percevoir comme symbole eschatologique (en effet quand les “mois sacrés” expirent-ils puisque leur rythme est cyclique ?). Proposition en regard de Matthieu : et si leur “expiration” était la fin du temps de grâce, du temps de la patience en quelque sorte — symbolisé par les “mois sacrés” ? Si c’était alors seulement après le temps de ce monde qu’intervient le jugement, effectué par les anges ? — auxquels s’adresserait cette parole coranique, selon une clef donnée par ce grand connaisseur de l’islam qu’était Henry Corbin. Je le cite :

« […] il n'y a pas des Anges séparés de la matière et des âmes destinées par nature à animer un corps matériel organique. Les uns et les autres sont des substantiae separatae : il y a des Anges demeurés dans le plérôme, et il y a des Anges déchus sur la Terre, des Anges en acte et des Anges en puissance. Ou bien encore cette scission peut s'entendre d'un même être, un unus ambo : le pneuma, l'Esprit ou l'Angelos […] est la personne ou l'Ange demeuré dans le Ciel, le “jumeau céleste”, tandis que l'âme désigne son compagnon déchu sur Terre, auquel il vient en aide et qui lui sera réuni, s'il sort finalement triomphant de l'épreuve. […] Si l'âme a pour fonction étymologiquement d'animer, si elle est substance complète indépendamment du corps matériel organique qui la fixe provisoirement, c'est qu'elle a laissé dans le monde de lumière son “vrai corps”, le corps céleste d'une pure matière encore “immatérielle”, ou le vêtement de lumière qu'elle doit revêtir. » (Henry Corbin, Temps cyclique et gnose ismaélienne, éd. Berg, p. 116-117)

Cf. Matthieu 18,10 : “leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux”.

La parabole — Matthieu 13, 24-30 — et son explication — Mt 13, 36-40 :
24 Jésus leur proposa une autre parabole : “Il en va du Royaume des cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ.
25 Pendant que les gens dormaient, son ennemi est venu ; par-dessus, il a semé de la mauvaise herbe en plein milieu du blé et il s’en est allé.
26 Quand l’herbe eut poussé et produit l’épi, alors apparut aussi la mauvaise herbe.
27 Les serviteurs du maître de maison vinrent lui dire : Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de la mauvaise herbe ?
28 Il leur dit : C’est un ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui disent : Alors, veux-tu que nous allions la ramasser ? —
29 Non, dit-il, de peur qu’en ramassant la mauvaise herbe vous ne déraciniez le blé avec elle.
30 Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, recueillez-le dans mon grenier. […]
36 Laissant les foules, il vint à la maison, et ses disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : “Explique-nous la parabole de la mauvaise herbe dans le champ.”
37 Il leur répondit : “Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ;
38 le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume ; la mauvaise herbe, ce sont les sujets du Malin ;
39 l’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges.
40 De même que l’on ramasse la mauvaise herbe pour la brûler au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde […].


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Aune du jugement, la fidélité de Dieu à sa miséricorde — 2 Ti 2, 13 : « si nous sommes infidèles, il demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même ».

RP