samedi 30 décembre 2023

Coïncidence ?


Coran, sourate 4, verset 157 : « parce qu’ils [les juifs] ont dit : “Oui, nous avons tué le Messie, Jésus, fils de Marie, le Prophète de Dieu”. Mais ils ne l’ont pas tué ; ils ne l’ont pas crucifié, cela leur est seulement apparu ainsi. Ceux qui sont en désaccord à son sujet restent dans le doute ; ils n’en ont pas une connaissance certaine ; ils ne suivent qu’une conjecture » (trad. D. Masson).

En accord avec la plupart des traductions contemporaines, on a ici ce qui fonde la mise en doute musulmane de l'historicité de la crucifixion de Jésus. Cette compréhension de ce verset n'est pas celle retenue par les exégèses anciennes (cf. ici). Elle n’en est pas moins aujourd’hui très majoritaire dans l’ordre de la foi musulmane. En subsiste un doute sur la réalité historique de la crucifixion de Jésus, voire sa négation pure et simple.

Le lecteur qui s’en tient à cette compréhension aujourd'hui majoritaire en islam pensera : « Je ne sais pas si Jésus était sur la croix ». Il ne retiendra de ce texte que l’idée qui avait cours jusqu'à il y a peu dans le christianisme, voulant que les juifs aient crucifié Jésus (une idée erronée, qui est une source non-négligeable de l’antimémistisme) — en l’occurrence, version musulmane, que les juifs auraient prétendu de façon illusoire mettre Jésus en croix, l’y auraient mis… « paraît-il »…

Jean-Luc Mélenchon (15.07.2020) : « Je ne sais pas si Jésus était sur la croix, je sais qui l’y a mis, paraît-il. Ce sont ses propres compatriotes. »

RP

samedi 23 décembre 2023

"Le message de Noël arrive juste au bon moment"



Texte proposé par Jean-Paul Sanfourche


« … aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né
un Sauveur qui est le Messie, le Seigneur. » (Luc, 2,11)


C’est en ces termes émouvants que le pasteur Dietrich Bonhoeffer, du camp de concentration bavarois de Flossenburg, écrivait à sa fiancée, Maria von Wedemeyer :

« […] Combien est grand le danger de se sentir livré à un hasard aveugle, de quelle manière pernicieuse la méfiance et l’amertume s’insinuent-elles dans notre cœur, et avec combien de facilité cette idée puérile nous conquiert, comme si nous étions dans notre vie, nos chemins et nos destinées entre les mains des hommes – et lorsque tout cela nous assaille au point que nous ne pouvons guère plus nous défendre, alors le message de Noël arrive juste au bon moment. Il nous dit que toutes nos pensées sont fausses, que ce qui nous paraît mauvais et obscur est en vérité bon et lumineux, parce que cela vient de Dieu ; ce sont nos yeux seulement qui nous trompent ; Dieu est dans la crèche, la richesse dans la pauvreté, la lumière dans la nuit, le secours dans l’abandon ; il ne nous arrive rien de mal ; […] Il n’est pas question ici de l’impassibilité stoïque vis-à-vis de tous les événements extérieurs, mais d’une souffrance et d’une joie véritable, parce que nous savons que le Christ est là présent. Maria bien-aimée, fêtons Noël de cette manière. Sois au milieu des autres, aussi gaie qu’on ne peut l’être qu’à Noël. Ne t’imagine pas des images horribles de moi dans ma cellule, mais simplement que le Christ traverse aussi les prisons, et qu’il s’arrêtera dans la mienne. »

L’auteur du « Prix de la Grâce », fidèle à l’éthique de la « suivance » (Nachfolge) comme réponse à Celui qui appelle, y compris dans la souffrance, adresse cette lettre – une de ses dernières lettres – à sa fiancée, le 13 décembre 1944. Il savait que leurs « destinées » ne s’uniraient pas. Pour avoir défendu les juifs persécutés et conspiré pour mettre un terme à un régime abominable, ses jours étaient comptés. Il le pressentait. Et sur cet arrière-plan tragique, nul mieux que lui n’a parlé en si peu de mots du « message de Noël ». Tant d’épreuves, tant d’injustices, tant de douleurs et d’humiliations auraient pu être le terreau du doute – qu’il a connu et dépassé à la prison de Tregen. Faisant la part du monde et du Royaume, qu’il ne sépare jamais, les unissant dans une « réalité totale », il affirme et rappelle que nos destins ne dépendent pas des hommes mais de Dieu seul. Au venin des passions tristes, la méfiance, la crainte, l’amertume, le ressentiment, il oppose un détachement qui n’a rien de stoïque. Au creux même de sa vulnérabilité et de son impuissance, il se soustrait sans angoisse à l’injustice des hommes en se livrant avec une confiance sans réserve à Dieu, de tout son amour, de toute son âme, de toute sa pensée.

Noël, pour Bonhoeffer comme il le faudrait aussi pour nous, c’est l’affirmation de la présence vécue de Christ, déjà là, dans nos vies, dans nos moments lumineux et nos nuits intérieures. C’est le moment des vraies questions que nous devrions sans cesse nous poser à nous-mêmes : nous croyons penser juste mais peut-être nous trompons-nous ? Nos certitudes seraient-elles entachées d’erreur ? Car nous sommes incapables de penser « en vérité ». Nos faibles intelligences ne nous permettent pas de voir la lumière que masquent les ténèbres, ni de comprendre le dessein de Dieu. Nos certitudes ne seraient-elles que leurres ? Noël est le moment du dépassement de soi. Dépassement chez Bonhoeffer qui n’est pas le résultat d’un effort intellectuel et volontaire sur soi, ou l’aboutissement d’une philosophie, mais l’accomplissement intérieur d’une vraie liberté, celle que donne la foi. Accomplissement tel qu’un homme qui a tant donné, qui a tant souffert, qui sera pendu dans quelques jours, est capable, dans un raccourci impressionnant, dans une logique suggérée et fulgurante, de déclarer : « Dieu est dans la crèche […] il ne nous arrive rien de mal. »

Noël est « le bon moment » dans l’âme humaine. Mais n’oublions pas ce que prêche aussi Maître Eckhart : « Noël, c’est chaque jour. »

Jean-Paul Sanfourche

mardi 19 décembre 2023

Tartuffe fait ramadan



L'amour qui nous attache aux beautés éternelles
N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles…

Molière, Le Tartuffe, acte III, scène III, exergue à : Jack-Alain Léger, Tartuffe fait ramadan, Denoël 2003


« Ali et moi déambulons sous le tablier du métro aérien qui abrite, entre les étals du marché, les bicraves, les petits trafics du trabendo, puis sur ce bout de trottoir du boulevard de la Chapelle où l’on vend à la sauvette toutes sortes de marchandises tombées du camion. Mais nous y retrouvons aussi, entre la rue de la Charbonnière et la rue des Islettes, les habituels dealers de littérature islamique, et surtout islamiste, qui tiennent là, comme si de rien n’était, leur déballé […] : bréviaires de la sagesse musulmane qui sont autant d’appels au djihad, manuels de prière qui enseignent en fait la haine de l’Occident dépravé, guides pratiques pour apprendre à soumettre femmes et enfants, tout cela au milieu d’un tas de saints corans […].

On peut aussi, sans beaucoup fouiller ce vrac de pieux écrits, dénicher des libelles antijuifs tels qu’il s’en publiait avant guerre en France, des pamphlets contre Israël dans lesquels un virulent antisionisme prétendu politique n’est que prétexte à caricatures antisémites comme on en voyait sous l’Occupation, comme on imaginait ingénument ne plus jamais en revoir après la Libération : sous une sanguinolente étoile de David, le youpin adipeux aux paupières lourdes, au nez en busc, aux dents de vampire, aux doigts crochus, et qui brandit un couteau… Et si l’on insiste discrètement, on pourra aussi se procurer le Protocole des Sages de Sion, ce faux forgé par la police secrète tsariste dans le but d’imputer aux Juifs un complot visant à la domination du monde, ce faux grossier [cité dans la charte fondatrice du Hamas (est-ce sans rapport avec le pogrom du 7 octobre ?)] que tant de religieux et de politiciens mais également, hélas, tant d’universitaires, de journalistes et d’écrivains arabes tiennent pour authentique, ce livre qu’on trouve toujours en vente libre au Caire, à Alger, à Damas, à Beyrouth.

Ah, j’oubliais ! ce livre qu’on peut acheter aussi à Paris, et non seulement à Barbès comme je viens de le dire, non seulement à la porte de plusieurs mosquées du quartier de La Chapelle, mais en plein Ve arrondissement, au déballage devant St-Nicolas-du-Chardonnet… Là aussi, il suffit de le demander. »

Jack-Alain Léger, Tartuffe fait ramadan, Denoël 2003, p. 30-32

vendredi 8 décembre 2023

Abnousse Shalmani


"L’islamisme qui est aussi l’islam, qui est son cancer, mais aussi la conséquence de son refus buté de se réformer…" (3 mn 45 — 3 mn 55)

Voir aussi, ICI, à 18 mn 20 sq. les intellectuels français en 1979 et Khomeini…

dimanche 26 novembre 2023

Après le pogrom du 7 octobre


« Stupeur et effroi devant l’extrême barbarie des razzias moyenâgeuses et sanguinaires perpétrées par le Hamas ce 7 octobre [… suite : l’article en entier ICI] ».

Des « crimes orchestrés de façon planifiée et systématique, avec pour dessein d’éliminer froidement, délibérément, 48 heures durant, des populations civiles dont le seul "tort" – aux yeux de leur bourreaux – est d’être juives ».

« Le leader du FDLP (Front Démocratique pour la Libération de la Palestine), Nayef Hawatmeh, dressait – [en 2014], déjà – un état des lieux glaçant de ce qu’il appela "l’occupation de Gaza par le Hamas" : un "terrifiant dictat politique et religieux, qui étouffe les populations gazaouies et écrase toute organisation politique, syndicale, sociale ou caritative non inféodée au Hamas" ; une monstrueuse corruption systémique née de "la mainmise totale des membres du Mouvement islamiste sur l’administration, la police, l’enseignement, le commerce" ; et une économie mafieuse basée sur "le business des tunnels [contrebande] plutôt que sur la production et le développement", qui "paupérise les habitants de Gaza tout autant qu’elle enrichit les dignitaires du Hamas".
Raisons pour lesquelles, Nayef Hawatmeh, faucon parmi les faucons historiques du conflit israélo-palestinien, qui forma – avec Yasser Arafat et Georges Habache – le trio fondateur de l’OLP, donc difficilement soupçonnable de complaisance envers Israël, en a conclu que, pour les populations palestiniennes de Gaza, "l’occupation du Hamas est pire que l’occupation israélienne" qui l’a précédée ! »
(Citations de Nayef Hawatmeh, interviewé par Atmane Tazaghart)





--- > Méthode

Cf. http://testimoniesarchive.com/

mardi 14 novembre 2023

Éléments pour comprendre le 7 octobre…


Page 277 :

« Et le Prophète ordonna de tuer tous les hommes des Banu Quraydha [tribu juive], et même les jeunes, à partir de l'âge où ils avaient les poils de la puberté.

Les Banû Quraydha sont égorgés (Sîra, II, 240-241)

Le Prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banû Quraydha et de les enfermer dans la maison de Bint al-Hârith. Il alla ensuite sur la place du marché de Médine, la même que celle d'aujourd'hui (du temps d'Ibn Hichâm), et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Banû Quraydha par petits groupes et leur coupa la gorge sur le bord des fossés. Parmi eux, il y avait Huyayy ibn Akhtab, l'ennemi de Dieu, et Ka'b ibn Asad, le chef des Quraydha. Ils étaient six cents à sept cents hommes. On dit huit cents et même neuf cents. Pendant qu'ils étaient amenés sur la place par petits groupes, certains juifs demandèrent à Ka'b, le chef de leur clan :
- Que va-t-on donc faire de nous?
- Est-ce-que cette fois vous n'allez pas finir par comprendre? Ne voyez-vous pas que le crieur qui fait l'appel ne bronche pas et que ceux qui sont partis ne reviennent pas? C'est évidemment la tête tranchée!
Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu'à leur extermination totale. […] »

Cf. aussi l'histoire des Banû Nadir et de Çafiyya.

*

Il est urgent de combattre intellectuellement l’islamisme et pour cela d'essayer de comprendre ses bases théologiques (fondées dans des traditions — tardives : la Sira date des VIIIe-IXe s., écrite en parallèle et en accord avec les recueils de hadith). S'y trouvent des traditions guerrières, antisémites et misogynes (à même de fonder toutes les exactions), à dénoncer au nom d'enracinements de foi plus profonds, ouverts et fraternels.

Les historiens datent en général la Sirâ de Ibn Hichâm de l'époque abbasside, de l'année 820 env. Elle est supposée basée sur la Sirâ de Ibn Ishaq, aujourd'hui disparue. Rien ne permet d'admettre la fidélité de Ibn Hichâm à Ibn Ishaq. Mais il ne fait pas de doute que c'est un texte de commande califale — visant à justifier les pratiques guerrières, policières, polygamiques, de tel ou tel calife.


mercredi 1 novembre 2023

"Sous sa vigne et sous son figuier"


« Ils habiteront chacun sous sa vigne et sous son figuier, Et il n'y aura personne pour les troubler ; Car la bouche de l'Eternel des armées a parlé. » (Michée 4, 4)



« L'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d'être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort. » (Vladimir Jankélévitch, L'Imprescriptible)

samedi 28 octobre 2023

"Comme le papillon"


« Quand Dieu prend un cœur, Il le vide de ce qui n’est pas Lui ; quand Il aime un serviteur, Il incite les autres à le persécuter, pour que ce serviteur vienne se serrer contre Lui seul ». (Akhbâr al-Hallâj. 36. Cité par Louis Massignon, “Étude sur une courbe personnelle de vie : le cas Hallâj, martyr mystique de l’islam”, in Écrits mémorables, I, coll. Bouquins, Robert Laffont, 2009, p. 389).

« Hallâj, qui se substitue [en pensée à Muhammad qui s'est arrêté au seuil de l'incendie divin sans oser "devenir" le Buisson Ardent de Moïse], l'exhorte à avancer, à pénétrer dans le feu du vouloir divin jusqu'à en mourir, comme le papillon mystique, et à se "consommer en son Objet" » (Massignon, ibid., p. 394).

jeudi 26 octobre 2023

Eumdem salvatorem crucifixisse se speravit


Louis Massignon rapporte ce témoignage :
« Un homme était allé se poster devant al-Hallâj, qui était sur le gibet et avait crié : “Louange à Dieu ! Qui t’a fait exposer là — en exemple aux hommes et aux anges, — en avertissement pour ceux qui regardent !” — Mais voici qu’il sentit par-derrière lui al-Hallâj lui-même, dont la main s'était posée sur son omoplate, — et qui lui récitait (le verset du Qorân sur Jésus) : […]
“Non ils ne l’ont pas tué, ils ne l’ont pas crucifié, mais il leur a paru qu’il en avait été ainsi… et ils ne l’ont pas tué véritablement ; mais Dieu l’a enlevé à Lui, car Dieu est puissant et juste…” […]
Et c’est là le sens de ce qu’une ancienne légende dit d’al-Hallâj en croix : “Il tourna sa face vers la foule et déclara : “celui qui est visible (ici) a sa profession de foi rejetée : celui qui est (ici) invisible a sa profession de foi agréée (par Dieu) !” [Le mot des anciens : ceci est la moitié d'un homme (…) ]. »
(Louis Massignon, “Al-Hallâj le phantasme crucifié des Docètes et Satan selon les Yezidis”, Revue de l'histoire des religions, 1911, in Écrits mémorables, I, coll. Bouquins, Robert Laffont, 2009, p. 505-506)

Massignon réfère aussi à Manès :
« Inimicus quippe, qui eumdem salvatorem judicum patrem crucifixisse se speravit, - ipse est crucifixus , quo tempora aliud ostensum actum est, atque aliud ostensum. » [Trad. : Pour l'ennemi, qui espérait avoir crucifié le même sauveur, le père des juges, — il fut lui-même crucifié, et à cette époque l'acte montré fut accompli, et un autre fut montré.] (Manès, Epistola fundamenti, extrait ap. S. Augustini, De fide contra Manichaeos, XXVIII, PL t. XLIII, 1147 […], in Louis Massignon, ibid., p. 507.)

La proximité d’avec Dieu, terrible en ce monde, est en cela-même signe d’élection, de vie indestructible auprès de Dieu. Témoin à travers les temps, Israël : Christian Jambet : “Le peuple juif, Israël, dépositaire incontestable de l’élection” (in Massignon, ibid. p. viii).

mardi 24 octobre 2023

Origines XXe s.


« Non, Massignon n'a point milité contre Israël, mais contre la partition de la Terre sainte […]. Israël et Ismaël, les chrétiens, les juifs, les musulmans sont aussi responsables les uns que les autres d'une partition voulue par les grandes puissances, embarrassées des juifs qu'elles ont abandonnés à leurs bourreaux, et rejetant sur les Arabes de Palestine le legs de leurs politiques criminelles. » (Christian Jambet, Préface à : Louis Massignon, Écrits mémorables, I, coll. Bouquins, Robert Laffont, 2009, p. xiv)

… Regard lucide, repris encore en 2009, ancré en un temps hélas révolu, quand à la cause palestinienne qui en est née se substitue un antisémitisme assumé, n'ayant plus rien à voir avec la cause palestienienne, et désormais dévoilé, au détour d'un immense pogrom, aux yeux de qui ne refuse pas de voir…

lundi 23 octobre 2023

Fanatismes assassins


Ils sévissent contre leur peuple partout où ils sont au pouvoir, quelle que soit leur secte. Actuellement, Afghanistan, Iran, Gaza. Aucune difficulté pour eux dans le génocide des Ouighours ou dans les massacres de musulmans dans le Sahel. Un seul problème, obsessionnel, celui qui heurte leur antisémitisme et leur vaut l'approbation des obsessionnels d'Occident et les actes aveugles des fanatisés (qui ne sont pas à l'abri où leurs chefs se cachent). Ce problème, leur obsession : Israël, les juifs.

Cioran, qui s'y connait en matière de fanatisme pour y avoir succombé lui-même dans sa jeunesse grevée d'adhésions fascistes qu'il hait par la suite, écrit :
“Il me suffit d'entendre quelqu'un […] dire 'nous' avec une inflexion d'assurance, d'invoquer les 'autres', et s'en estimer l'interprète, — pour que je le considère mon ennemi. J'y vois un tyran manqué, un bourreau approximatif […].
Le fanatique, lui, est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle ; dans les deux cas, tyran ou martyr, c'est un monstre. Point d'êtres plus dangereux que ceux qui ont souffert pour une croyance : les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n'a pas coupé la tête. Loin de diminuer l'appétit de puissance, la souffrance l'exaspère […]. Excédé du sublime et du carnage, il rêve d'un ennui de province à l'échelle de l'univers, d'une Histoire dont la stagnation serait telle que le doute s'y dessinerait comme un événement et l'espoir comme une calamité…”

(Emil Cioran, “Généalogie du fanatisme”, Précis de décomposition, Œuvres, p. 583)

Si on avait opposé autant de "oui, mais" aux exactions des nazis qu'a côtoyés Cioran qu'aux assassins d'aujourd'hui, la Shoah aurait peut-être été menée à son terme, le révisionnisme l'aurait emporté et Hitler serait peut-être resté au pouvoir !

28 octobre 2023, Armita Garavand, 16 ans (image ci-dessus), est décédée.

vendredi 20 octobre 2023

Aux confins de la perdition


“— Besièrs est tombée voilà trois ou quatre jours. Nul n'y a survécu.”
Alaïs tituba vers un banc.
“Ils ont tous… trépassé ? bégaya-t-elle, horrifiée. Femmes et enfants ?
— Nous touchons là aux confins de la perdition, déclara Pelletier. Si l'on peut perpétrer de telles atrocités sur des innocents…”
(Kate Mosse, Labyrinthe, LdP p. 490 — à propos du sac de Béziers, 22 juillet 1209)

“Le diable, l’ayant élevé, lui montra en un instant tous les royaumes de la terre,‭ ‭et lui dit : Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux.‭ ‭Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi.” ‭
(Luc 4, 5-7)

“Le monde entier gît sous le pouvoir du Mauvais.”
(1 Jean 5, 19)

“Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge.”
(Jean 8, 44)

Il y eut un temps où le mensonge “argumentait”, où le révisionnisme tentait de la sorte de cacher les crimes qu'il voulait nier, ou ce qui gênait sa conception du monde et de l'histoire. Vient le temps où le mensonge ne se donne même plus cette peine !
Dix jours après l'innommable massacre antisémite perpétré par les terroristes du Hamas, apparaissent, comble du révisionnisme, des propos soutenant, devant la peur de la menace qui pèse sur les assassins cachés derrière les civils et les otages, que les atrocités du 7 octobre n'ont jamais eu lieu ! De sorte que la victime passe pour le coupable quand elle tente de se défendre !
Surprenante inaccessibilité à la compassion pour les victimes de ce pogrom de la part de ceux qui n'en ont pas manqué pour les victimes du Bataclan et qui n'ont alors rien trouvé à redire à la volonté équivalente d'en finir avec Daech. Aucune opposition alors contre les attaques de Mossoul et Raqqa avec leurs victimes civiles. Pour ne rien dire des bombardements indiscriminés au Yémen, des millions d'assassinés au Congo, ou du nettoyage ethnique contre les Arméniens, etc., pas plus qu'en 1970 contre la Jordanie s'en prenant… aux Palestiniens. À croire que les survivants de la Shoah, comme ces grand-mères prises en otage, sont restés quantité négligeable ! (Ignominie supplémentaire des geôliers, "libérant" le 24 octobre pour les entendre dire qu'elles ont été "traitées humainement", leurs proies enlevées dans la violence qui massacrait leurs proches !)

--> Origines…

Entrer dans l'Histoire c'est entrer dans le malheur (“car la gloire de ces royaumes m’a été donnée”, dit le diable en Luc 4, 6), d'autant plus sûrement qu'on est proche de la Source l'Être — redoutable élection ! Avoir été contaminé par la présence de la Source de l'Être au Sinaï, en avoir contaminé une terre. “Je ferai de Jérusalem une pierre pesante pour tous les peuples ; tous ceux qui la soulèveront seront meurtris” (Zacharie 12, 3). Voir qui s'est approché de la Source de l'Être, ou y aspire, entrer en contradiction avec l'Histoire, au près ou au loin. “Le besoin de pureté du pays occitanien trouva son expression extrême dans la religion cathare, occasion de son malheur.” (Simone Weil, En quoi consiste l'inspiration occitanienne ?, 1942)

Être sorti de l'Histoire, en avoir été chassé, appauvri (Ro 11, 12 & 15) par les empires, Rome et les nations enrichies en l'attente de la plénitude d'au-delà de l'Histoire… jusques à quand ?

RP, octobre 2023

mardi 10 octobre 2023

Sidération


Une jeunesse pacifiste rassemblée à une fête musicale de la paix, la paix avec les Palestiniens pour laquelle plaident ces jeunes Israéliens (et autres), massacrés comme, dans les pogroms alentour, leurs parents et petits frères et sœurs dans les villages et kibboutz (i.e. de gauche : comment des gens "de gauche" en France peuvent ne pas dénoncer cette horreur ?) par des assassins fanatiques antisémites, voulant "tuer des juifs", en s'arrogeant la prétention de représenter les Palestiniens qu'ils souillent de honte à la face d'un monde qu'ils couvrent de sang !

Écouter Joann Sfar à 1:08:00

Joann Sfar, Le chat du rabbin

vendredi 29 septembre 2023

Ce soir, la Lune rêve…


Nietzsche : "Il n'y a pas de faits mais seulement des interprétations" (Fragments posthumes, 7, fin 1886-printemps 1887).


Nietzsche montre la lune, l’insensé regarde son doigt, en s'imaginant que Nietzsche dirait qu’il n’y a pas de lune, i.e. pas de réel (à savoir, ce qui heurte : “le réel, c'est quand on se cogne”, dixit Lacan) ! Si l’on n’a accès au réel que via ce que nous sommes, jusque dans notre matérialité, notre corporéité, les interprétations dont il s’agit n’impliquent pas qu’il n’y a rien derrière ces interprétations, mais qu’on n’y a pas accès autrement que par ces interprétations, comme on n’a pas accès à la lune en soi. Mais ça heurte quand même !

C’est donc ainsi qu'"il n'y a pas de faits mais seulement des interprétations". Un certain déconstructivisme contemporain, qui s’imagine être héritier de Nietzsche, postule que les interprétations impliquent l'inexistence du réel et glisse de la contemplation du doigt de Nietzsche à celle de son doigt propre — substitué non seulement à celui de Nietzsche, mais, dans un subjectivisme radical, aussi au réel.

Réinterprétation de la volonté de puissance, celui qui réussit à imposer son interprétation l'impose comme un fait : subvertissant l'aphorisme de Nietzsche, l’interprétation de celui qui a déconstruit l'interprétation précédente (déclarée "mythe") devient fait. La "post-vérité" se substitue à l’ancienne interprétation, imposant des fake-news qui déclarent fake-news les interprétations qui ne sont pas la sienne. Attitude où se rejoignent nombre d'intellectuels “déconstructeurs” d’un côté et adeptes du trumpisme de l’autre !

Or, le réel heurte ! Ce qui semble gêner beaucoup lesdits “déconstructeurs”… Le réel en est déconstruit de tous bords : quand à une aile il l'est par la "post-vérité", l'autre aile n'est pas en reste. Ainsi, exemple éloquent : déclarée "construite", la sexuation sera donc déconstruite par l'auto-déclaration de genre, débouchant éventuellement sur des effets physiques de la déconstruction, via des traitements hormonaux et chirurgicaux.

En histoire, il n’y aura donc plus de cathares/néo-manichéens médiévaux, plus de "sorciers/sorcières", mais uniquement une société persécutrice qui les invente — un pas plus loin et il n’y aura plus de vaudois, plus de lépreux, plus de juifs, plus d’homosexuels : il n’y a plus qu'interprétations dues à une société paranoïaque. Certes, paranoïa il y a eu certainement, faisant naître la peur des hérétiques et des sorciers, et surtout sorcières (terreur des hommes persécuteurs)…

Des historiens comme Jean Duvernoy ou Carlo Ginzburg, au fait de la dimension paranoïaque des interprétations persécutrices, n’ont pas perdu de vue pour autant qu’il y a une lune que désigne le doigt, même mal comprise : un mouvement vraiment dualiste pour les cathares ; un reliquat d’un culte chamanique de Diane pour les sorciers et sorcières ; une maladie pour les lépreux ; une lecture talmudique de la Torah pour les juifs ; une orientation sexuelle pour les homosexuels — appelés “bougres” (Bulgares !) comme l’ont été aussi les cathares ; une exigence évangélique pour les vaudois, etc. Certes l'interprétation paranoïaque a tout confondu : les sorcières (daïmoniales) se rendant au sabbat (juif) pour leurs vauderies (vaudoises) ! Interprétation que ces confusions. La lune n’en cesse pas d'exister pour autant !

*

Ce soir, la Lune rêve avec plus de paresse ;
Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui, d’une main distraite et légère, caresse
Avant de s’endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l’azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poëte pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du Soleil.


(Charles Baudelaire, “Tristesses de la lune”, recueil Les fleurs du mal)


RP, 21.03.2023


jeudi 28 septembre 2023

Interview

… par Michel Jas / Théologie en liberté, sur Radio Alliance +20 & 27 septembre 2023 | <a href="https://radioallianceplus.fr/audio/roland-poupin-theologien-philosophe-pas-comme-les-autres-1/" target="_blank">1</a> & <a href="https://radioallianceplus.fr/audio/roland-poupin-theologien-philosophe-pas-comme-les-autres-2/" target="_blank">2</a>

ICI (1) (Orgue, pas guitare)
&
ICI (2) <audio controls="" src="https://drive.google.com/uc?id=1SUbMSBwPVyr7_Vl9ONuvqI4n7SUaHdeL"> ... </audio><br /> (claviers, pas guitare !) <br> <audio controls="" src="https://drive.google.com/uc?id=1Toc9fNeeHRYxBJNcB8aDik-QjAVCaDn1"> ... </audio><br />





mardi 22 août 2023

Facteurs aléatoires


"Lorsque le temps entre la prédiction et l'événement prédit s'allonge, les probabilités pour que celle-ci se réalise diminuent. Dès qu'on parle en semaines, elles chutent […].
[…] Peut-être que les prédictions sont authentiques au moment où [elles sont faites]. Mais elles se tiennent pas compte des facteurs aléatoires.
Ni de Dieu […]."

Stephen King, L'institut, Livre de Poche p. 742 & 745 (référant à la loi de Bernoulli)

dimanche 13 août 2023

Philosophes… mais pas que !


"Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne d’être aimé et d’être admiré, et ont désiré d’être aimés et admirés des hommes. Et ils ne connaissent pas leur corruption. […] Quoi, ils ont connu Dieu, et n’ont pas désiré uniquement que les hommes l’aimassent, que les hommes s’arrêtassent à eux ! Ils ont voulu être l’objet du bonheur volontaire des hommes."
Blaise Pascal, Pensées, Fragment Philosophes n° 4 / 8

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samedi 1 juillet 2023

‭L’herbe sèche, la fleur tombe…


“‭L’herbe sèche, la fleur tombe ; mais la parole de notre Dieu subsiste éternellement” (Es 40, 8). Que dire d’autre pour un départ à la retraite ? Nous ne maîtrisons rien de ce qui advient, fût-ce par nous ou notre ministère. Ce qui fut vrai de tout temps, ce qu’enseigne l’Ecclésiaste, est criant de nos jours…

L’astronome Carl Sagan écrit — dans son livre Un point bleu pâle (référence à une photo prise par la sonde Voyager 1 du bout du système solaire où la Terre apparaît comme un point bleu pâle minuscule) : “Pensez […] à ce point. C’est là. C’est notre foyer. C’est nous […] — sur un grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil. […] Pensez aux cruautés sans fin infligées par les habitants d’un coin de ce pixel à ceux à peine distinguables d’un autre coin, à la fréquence de leurs mésententes, à quel point ils sont prêts à se tuer l’un et l’autre, à la ferveur de leur haine.”

De quoi comprendre l’écrivain Emil Cioran : “Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j'ai renoncé à faire ma toilette : à quoi bon se laver encore ?” demande-t-il. Que l’on se rassure : je vais continuer à me laver quand même !

Le ministère pastoral ? Juste avoir essayé, en ce temps vertigineusement bref où on y est appelé, de dire, pour que ce grain de poussière ne soit pas qu’un enfer, ce qui est au cœur de la Bible, à la suite de celui-là seul qui a pleinement vécu cette Parole et en est mort à renverser la mort.

Et remettre à Dieu ce qui lui appartient : tout reste en sa main…

Roland Poupin

vendredi 23 juin 2023

Êtres de manque


Parlant de lois sociétales« les députés espagnols ont adopté, le jeudi 16 février [2023], une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans – voire 12 ans sous certaines conditions. » (Le Courrier international, 17.02.23).

Quelques éléments de réflexion…

« L’assignation de rôles stéréotypés à chacun des deux sexes est une cause fondamentale du transsexualisme. Bien entendu, cette explication ne figure pas dans la littérature médicale et psychologique qui prétend établir l’étiologie du transsexualisme. Cette littérature ne remet nullement en cause les stéréotypes sociosexuels, au contraire, elle les considère comme des données et réduit l'origine du transsexualisme à des explications psychologiques […]. Tant que ces théories sur les causes du transsexualisme continueront de consister en une évaluation de l’adaptation ou de l’inadaptation des transsexuels en fonction de normes masculines ou féminines, elles passeront à côté de la vérité. A mon avis, la société patriarcale et ses définitions de la masculinité et de la féminité constituent la Cause première de l’existence du transsexualisme. Les organes et le corps du sexe opposé ne constituent que l’ “essence” du rôle que le transsexuel convoite » (Janice G. Raymond, L’Empire transsexuel, éd. Le Partage 2022, préface de 1979, p. 42).

« Loin de combattre les rôles et stéréotypes assignés à chaque sexe, et la domination masculine, le transsexualisme tend à renforcer “les bases institutionnelles du sexisme sous couvert de thérapie”. Qu’y a‑t-il d’émancipateur dans le fait de rejeter les rôles et les stéréotypes que le patriarcat assigne à un sexe pour se conformer à ceux qu’il assigne à l’autre sexe ? » (Janice G. Raymond, op. cit., 4e de couv.).

« La chirurgie de changement de sexe revient en quelque sorte à se tourner vers les dermatologues pour résoudre le problème racial » (Judith Shapiro, citée par Janice G. Raymond, op. cit., préface de 1994, p. 26). « Mais […] la plupart des noirs comprennent que c’est la société, et non la couleur de leur peau, qui doit changer » (J. Raymond, op. cit., préface de 1979, p. 18).

« Depuis [1979, date de parution du livre de J. Raymond, L’Empire transsexuel], le transsexualisme a intégré la nébuleuse plus vaste du transgenrisme, dont l’emprise ne cesse de s’étendre […] » (Janice G. Raymond, op. cit., 4e de couv.).

Problème politique, donc, plutôt que médical, auquel on peut ajouter, me semble-t-il, le problème philosophique : nous sommes des êtres de manque.

Deux corollaires au fait que nous sommes des êtres de manque : le mythe de la préexistence (nous existons avant de naître - cf. Platon) et en parallèle l’anima (qui est son équivalent psy - cf. Jung).

Le mythe platonicien est largement repris — “à l'insu du plein gré” des transactivistes, semble-t-il, parlant invariablement de personnes “piégées dans le mauvais sexe”, “tombées dans le mauvais corps”, etc.
Réarrangement du mythe platonicien qui conduit à penser que l’on serait sexué avant de naître, avant même le développement fœtal, avant d’être chromosomiquement XX ou XY, et qu’un traitement hormonal, et/ou chirurgical — voire actuellement une simple auto-déclaration préfectorale (éventuellement permise constitutionnellement !) — permettrait de réintégrer le “bon corps” imaginé à partir d'un équivalent approximatif du mythe platonicien…

Il n’est pas inutile de rappeler que le mythe, développé dans le dialogue de Platon Le Banquet, sous le titre de “Discours d'Aristophane”, explique le fait que la venue dans le temps (la naissance) nous laisse un manque, le manque de la partie de nous-mêmes dont nous perdons la mémoire en naissant (l’anima dans la vocabulaire jungien). Nous naissons nostalgiques de la partie manquante, l'ombre — en général féminine pour les hommes, masculine pour les femmes. (Élément de philosophie à considérer quand même concernant le phénomène "transgenre", qui va jusqu'à viser une inaccessible modification de la biologie du corps, de sa sexuation — fût-ce via des traitements hormonaux, voire chirurgicaux.)

Quête de la trace manquante… Jusqu’à percevoir, à bien lire le mythe, qu’elle n’existe pas en dehors de soi-même : elle n’est autre que sa propre anima. D’où un côté forcément désabusé, de toutes et tous, sans exception : le mythe veut nous dire pourquoi toutes et tous restons des êtres de manque. Avec, au cœur du mythe, le paradoxe qui est que cela donne un certain sens à la vie : un exil depuis la préexistence, mais du coup aussi, une mission : qu’est-ce que je suis censé apporter en ce temps bref de vanité (Ecclésiaste 9, 10) — et dans le corps unique et irremplaçable qui est le mien — avant de tirer ma révérence et de réintégrer ce que je suis avant de naître (Ecc 12, 7), qu’est-ce que je suis censé apporter du fait que je suis bel et bien né ? Pourquoi suis-je né là plutôt qu’ailleurs, quel est le sens de mes rencontres ? Quels sont les symboles de cette quête ? Etc.

RP

samedi 27 mai 2023

Subversion subventionnée



"[…] condamné à l'escalade subversive. De par la concurrence et l'usure des signes. Ce qui commence comme sélection, marginalité d'un petit groupe tombe très vite dans la consommation de masse. […]
La subversion se radicalise, accède à la plus grande transgression possible dans le mondain […]
Alors la contestation mondaine atteint le moment dialectique de sa plus grande contradiction interne : contradiction entre l'institutionnel et la subversion. Car ce qui se dit contestation n'est qu'initiation mondaine, niveau supérieur de l'intégration au système, à la société permissive."

Michel Clouscard, Le capitalisme de la séduction, éd. Delga 2015, p. 120-121


Illustration (en Hongrie actuelle) :




Conclusion (Who : "We won't get fooled again") :





*


"Le piège à éviter, c'est de se jeter dans le moderne. Tout le monde veut être moderne et, comme si ça ne suffisait pas, tout le monde veut être rebelle par-dessus le marché. Pour être au goût du jour, tout le monde cherche à grimper dans le train déjà bondé des mutins de Panurge. C'est un joyeux tintamarre, plein d'argent comme jamais, ou plutôt comme toujours. Les mauvaises manières en plus. Tournent dans ce manège non pas tant, comme on pourrait s'y attendre, les plus déshérités, les hors-la-loi, les laissés-pour-compte de l'histoire, mais surtout, sans vergogne, ceux qui ont déjà tout et qui veulent encore le reste, les banquiers ivres de Chine, les milliardaires en perdition qui, à défaut de rendre l'argent, en disent au moins du mal. Le comble du moderne, c'est à la fois de passer pour rebelle, d'avoir le pouvoir et d'être plein aux as. Ah ! bravo ! Quel chic !
Être résolument moderne est une tentation que j'ai fini par repousser. Pour la bonne raison que le moderne sent déjà le moisi."

(Jean d'Ormesson, Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit, roman, éd. Robert Laffont 2013)


jeudi 6 avril 2023

De jeudi saint à Pâques, scandale pour la raison

Luc 24, 34-45
Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon.‭
‭Et ils racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu au moment où il rompit le pain.‭
‭Tandis qu’ils parlaient de la sorte, lui-même se présenta au milieu d’eux, et leur dit : La paix soit avec vous !‭
‭Saisis de frayeur et d’épouvante, ils croyaient voir un esprit.‭
‭Mais il leur dit : Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi pareilles pensées s’élèvent-elles dans vos cœurs ?‭
‭Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi ; touchez-moi et voyez : un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai.‭
‭Et en disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds.‭
‭Comme, dans leur joie, ils ne croyaient point encore, et qu’ils étaient dans l’étonnement, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ?‭
‭Ils lui présentèrent du poisson rôti et un rayon de miel.‭
‭Il en prit, et il mangea devant eux.‭
‭Puis il leur dit : C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes, et dans les psaumes.‭
‭Alors il leur ouvrit l’esprit, afin qu’ils comprissent les Écritures.‭








jeudi 9 mars 2023

Traces origéniennes cathares

« On a dit que les spéculations et les vues d'Origène se retrouvent dans certaines attitudes iconoclastes (*). Nous avons l'impression que c'est le cas lorsque ces spéculations et ces vues sont aussi en une certaine mesure celles d'autres Pères de l'Église, plus acceptés, tels que Clément d'Alexandrie, ou des écrivains, tels qu'Eusèbe, pour s'assurer une porte de sortie (…) L'hostilité envers Origène a fait que ceux qui se sont inspirés de ses doctrines, les ont étudiées et commentées, l'ont fait dans l'ombre, ce qui a eu pour conséquence que bien des idées qui, chez le Maître n'étaient que des suggestions, des suppositions, ont acquis force de loi et sont devenues catégoriquement hétérodoxes. Il est frappant que l'origénisme qui se retrouve dans le catharisme est à peu de choses près le même qu'aux Ve et VIe siècles. On peut en conclure que c'est le repli de l'origénisme sur lui-même, selon une tradition jalousement conservée dans une ambiance hostile, qui a mis un frein à une évolution qui autrement se serait peut-être produite. » (Marcel Dando, in Cahiers d’Études cathares, IIe s. n°82, été 1979, p. 20)

(* Cf. Georges Florovsky, du séminaire orthodoxe de New-York. Florovsky "est cité par Marcel Dando puis Jean Duvernoy. C’est cet auteur qui a démontré combien la victoire de l’actuelle orthodoxie, iconodule, était de fait une réfutation du spiritualisme d’Origène." Voir ICI)



samedi 4 mars 2023

Mémoire


Marcel Pagnol, La gloire de mon père - avant-propos

À méditer, à l'heure où les souvenirs, parfois publiés, sont trop souvent chargés de ressentiments. Nous sommes ce que notre passé jusqu'à tout-à-l'heure, quel qu'il soit, a fait de nous. Tel est le substrat mémoriel de nos êtres, à recevoir… dans l'amertume… ou la reconnaissance… (Ps 139, 11-16)

samedi 18 février 2023

Infiniment


"Un tour au cimetière Montparnasse.
Tous, jeunes ou vieux, faisaient des projets. Ils n'en font plus.
Bon élève, fort de leur exemple, je jure en rentrant de cesser à tout jamais d'en faire.
Promenade indéniablement bénéfique."
(Emil Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres p. 1669)

vendredi 10 février 2023

Elstir


« Il n’y a pas d’homme si sage qu’il soit, me dit [Elstir], qui n’ait à telle époque de sa jeunesse prononcé des paroles, ou même mené une vie, dont le souvenir ne lui soit désagréable et qu’il ne souhaiterait être aboli. Mais il ne doit pas absolument le regretter, parce qu’il ne peut être assuré d’être devenu un sage, dans la mesure où cela est possible, que s’il a passé par toutes les incarnations ridicules ou odieuses qui doivent précéder cette dernière incarnation-là. Je sais qu’il y a des jeunes gens, fils et petits-fils d’hommes distingués, à qui leurs précepteurs ont enseigné la noblesse de l’esprit et l’élégance morale dès le collège. Ils n’ont peut-être rien à retrancher de leur vie, ils pourraient publier et signer tout ce qu’ils ont dit, mais ce sont de pauvres esprits, descendants sans force de doctrinaires, et de qui la sagesse est négative et stérile. On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses. Les vies que vous admirez, les attitudes que vous trouvez nobles n’ont pas été disposées par le père de famille ou par le précepteur, elles ont été précédées de débuts bien différents, ayant été influencées par ce qui régnait autour d’elles de mal ou de banalité. Elles représentent un combat et une victoire. Je comprends que l’image de ce que nous avons été dans une période première ne soit plus reconnaissable et soit en tous cas déplaisante. Elle ne doit pas être reniée pourtant, car elle est un témoignage que nous avons vraiment vécu, que c’est selon les lois de la vie et de l’esprit que nous avons, des éléments communs de la vie, […] extrait quelque chose qui les dépasse. »
(Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs)

lundi 23 janvier 2023

Pouvoir, convictions, tentation

« Si une hérésie chrétienne, n’importe laquelle, l’avait emporté, elle ne se serait pas perdue dans les nuances. Plus téméraire que l’Église, elle aurait été aussi plus intolérante, car plus convaincue. Le doute n’est pas permis : victorieux, les Cathares eussent surpassé les Inquisiteurs. Ayons pour toute victime, si noble soit-elle, une pitié sans illusions. » (Emil Cioran, Le Mauvais Démiurge, Œuvres p. 1254)

« Victorieux » !…

Où se pose le problème du pouvoir (que n'ont pas eu, ni voulu, les cathares), pouvoir dont l'exercice est d'autant plus redoutable que ses tenants sont plus convaincus d'être dans le vrai

Une réussite des cathares eut été leur ruine sous cet angle, leur faisant fatalement courir le risque de se retrouver ayant « surpassé les Inquisiteurs ».

*

‭« Le diable, l’ayant élevé, lui montra [à Jésus] en un instant tous les royaumes de la terre,‭ ‭et lui dit : Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux.‭ ‭Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi.‭ » (Luc 4, 5-7)


Jésus a résisté, mais quid du reste des hommes ?… Y compris les plus apparemment purs

‭« Je fais peu de cas de quiconque se passe du Péché originel. » (Emil Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres‭ p.‭ 1646)


King Crimson, Epitaph

dimanche 15 janvier 2023

Kundera & Grünewald catharisants ?


« Si, récemment encore, dans les livres, le mot merde était remplacé par des pointillés, ce n’était pas pour des raisons morales. On ne va tout de même pas prétendre que la merde est immorale ! Le désaccord avec la merde est métaphysique. L’instant de la défécation est la preuve quotidienne du caractère inacceptable de la Création. Deux choses l’une : ou bien la merde est acceptable (alors ne vous enfermez pas à clé dans les waters !), ou bien la manière dont on nous a créés est inadmissible.
Il s’ensuit que l’accord catégorique avec l’être a pour idéal esthétique un monde où la merde est niée et où chacun se comporte comme si elle n’existait pas. Cet idéal esthétique s’appelle le kitsch.
C’est un mot allemand qui est apparu au milieu du XIXe siècle sentimental et qui s’est ensuite répandu dans toutes les langues. Mais l’utilisation fréquente qui en est faite a gommé sa valeur métaphysique originelle, à savoir : le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l’existence humaine a d’essentiellement inacceptable. »
(Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, folio p. 356-357)

Mais… "La Parole est devenue chair" (Jean 1, 14)

Grünewald encore…



L'inacceptable assumé…



King Crimson, Dangerous Curves | alb. The power to believe