samedi 26 novembre 2016

"On ne réfute pas plus une idée qu’une sauce"


"Une vogue philosophique s’impose comme une vogue gastronomique : on ne réfute pas plus une idée qu’une sauce." (Emil Cioran, Syllogismes de l’amertume)


Bach - Mass in B minor, BWV232 | Harnoncourt

"[...] les autres historiens laissent habituellement de côté [...] le fait qu'il est impossible de comprendre le passé avec certitude, car nous ne sommes pas capables de faire suffisamment d'hypothèses sur les motivations des hommes et sur l'essence de leurs âmes, de sorte que nous ne pouvons interpréter leurs actes." (Freud, Lettre à Lytton Strachey, 25.12.1928)

lundi 14 novembre 2016

"Holisme identitaire"


"L'affirmation consolatrice d'une identité, la proclamation publique d'une “différence” dans le cadre d'une société multiculturelle exigent que l'on adhère à des groupes, des communautés, des “tribus” ou catégories qui sont toutes jalouses de leurs différences collectives. Ces groupes confèrent des identités communautaires, des appartenances de substitutions. Mais elles ne le font qu'au prix d'une adhésion sans nuance, voire d'une obéissance fusionnelle aux codes et aux valeurs dudit groupe. Rien ne leur est plus étranger que la singularité individuelle ou la dissidence. En d'autres termes, elles effacent l'individu en l'intégrant. Elles refabriquent une forme nouvelle et redoutable de micro-holisme : le holisme identitaire. Le raisonnement vaut aussi bien pour l'appartenance à une bande de quartier que pour l'adhésion à une minorité raciale, religieuse ou sexuelle."
Jean-Claude Guillebaud, La refondation du monde, Seuil, p. 239-240

dimanche 13 novembre 2016

Faut-il une "nouvelle" Déclaration de Foi ?


Faut-il vraiment une « nouvelle » Déclaration de Foi (« F » majuscule, s'agissant de la Foi comme donné reçu) ? Que faut-il de « nouveau » – qui rajouterait quoi ? – à ce que l'on a déjà ?

Si l’Église se veut – en comprenant cela diversement – Église confessante, c'est en s'inscrivant dans un héritage, un héritage commun, œcuménique, déclarant sa Foi « avec » selon l'étymologie du mot « confessant », qui distingue une confession de Foi d'une Déclaration de Foi : « confesser » dit « déclarer avec/cum ». Distinction utile pour saisir que si l'on se veut d'une approche confessante, on ne se veut pas pour autant ipso facto confessionnaliste : les Confessions de Foi historiques auxquelles renvoient nos Déclarations de Foi sont des Confessions œcuméniques, que ce soit les Symboles œcuméniques proprement dits ou les Confessions de Foi de la Réforme, qui se voulaient œcuméniques, fussent-elles inscrites dans des traditions linguistiques ou nationales données. Cela est explicite de la Confession luthérienne d'Augsbourg et des livres symboliques luthériens, cela vaut pour les Confessions réformées – agrégées aux Confessions luthériennes dans L'Harmonie des Confessions de Foi de 1581. Volonté œcuménique des Confessions de Foi du XVIe siècle qui redisent la Foi reçue en regard des référents de la Réforme que sont le Sola fide et le Sola Scriptura. Bref, les Symboles œcuméniques et les Confessions de Foi de la Réforme, textes auxquels renvoient les Déclarations ultérieures sont et se veulent des textes œcuméniques, ce que les Déclarations ultérieures ne prétendent pas être – renvoyant pour leur œcuménicité participée aux Confessions de Foi, dont le préfixe cum indique leur vocation œcuménique.

Les Déclarations de Foi n'entendent donc pas dire un tout de la foi où tous se reconnaîtraient, mais un minimum où l'on puisse s'accorder pour une vocation ecclésiale donnée, celle d'une Église qui se reconnaît comme « l'un des visages de l'unique Église du Christ » comme le dit on ne peut mieux la Déclaration d'Union de l'EPUdF, de 2013, adoptée par toutes nos Églises luthéro-réformées en France « de l'intérieur » dans une remarquable réussite. Réussite qu'au regard de l'histoire, pourtant brève depuis 2013, on peut considérer comme étonnante – doit-on dire « miraculeuse » ? En tout cas exceptionnelle, quand on sait que les deux Déclarations de Foi antécédentes (réformées) connues dans le protestantisme français ont été, en regard de leur capacité de rassemblement, un échec. Il s'agit de la Déclaration de Foi de 1872 et de celle de 1938. Dans les deux cas, il s'agit de Déclarations et pas de Confessions à vocation œcuménique, Déclarations du protestantisme français (sans les luthériens). La Déclaration de 1872, qui visait à réunifier lors de son premier synode d’Églises reconnues, un protestantisme français divisé, suite à sa dispersion intérieure due à la persécution, en différents courants, orthodoxes, libéraux, mouvements de Réveil... L'échec patent a voulu être dépassé dans ce qu'on a appelé « l'Union », en 1938 autour de la Déclaration de Foi de l'ERF, union partielle puisqu'elle n'a pas réussi à rassembler toutes les Églises, laissant de nouvelles divisions. C'est en considération de cela que la Déclaration d'Union de 2013 a quelque chose de remarquable au regard de l'histoire : elle a réussi. Il s'agit bien d'une Union réussie, résumée dans une Déclaration, Déclaration d'Union qui est bien une Déclaration de Foi d'une Église unie – qui n'est pas pour autant parfaite : tous ne se reconnaissent pas forcément intégralement dans la lettre de chaque formule. Cette Déclaration de Foi, ou d'Union, n'en rassemble pas moins des Églises séparées depuis près de cinq siècles.

Cela peut conduire à s'interroger sur l'opportunité de se donner, trois ou quatre ans après, une « nouvelle » Déclaration de Foi, sur laquelle, on le voit bien, on peine à s'accorder – au point qu'il a fallu une seconde rédaction entièrement différente de la première proposition. Arrivera-t-on à un nouveau texte qui fasse l'unanimité ? Et surtout est-il utile, quand on a une Déclaration qui a réussi en 2013 à résumer ce qui fait l'Union luthéro-réformée en France ?

C'est pourquoi, sauf à entendre une argumentation propre à convaincre de la nécessité d'une « nouvelle » Déclaration de Foi, il semblerait sage et opportun de recevoir la Déclaration d'Union comme la Déclaration de Foi de l'EPUdF.

RP

vendredi 11 novembre 2016

"Pasture"


"La pasture de l'âme, c'est la seule parole de Dieu,
C'est elle seule qui nous peut donner salut et vie éternelle."

Jacques Lefèbvre d’Étaples

jeudi 10 novembre 2016

Noms nus


"Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus." (Umberto Eco, finale du Nom de la Rose.) - "La rose d'antan demeure par son nom. Nous ne tenons que des noms nus/vides." - Reprise de la formule de Bernard de Cluny (De contemptu Mundi) : "Stat Roma pristina nomine, nomina nuda tenemus." Eco a remplacé "Rome" par "rose".

mardi 8 novembre 2016

Individuation par la matière


"[…] la matière sous une quantité déterminée est le principe de l’individuation. […] non en ce sens qu’elle produit, d’une façon quelconque, son sujet, qui est la première substance, mais en ce sens qu’elle est sa compagne inséparable, et qu’elle la limite au temps et au lieu."
Thomas d’Aquin, Du principe d’individuation (Opuscule 29)

lundi 7 novembre 2016

Âme et chair


« […] l'âme, lorsqu'elle a acquis une sensibilité plus grossière, parce qu'elle se soumet aux passions du corps, est opprimée sous la masse des vices et elle ne sent plus rien de subtil et de spirituel ; on dit alors qu'elle est devenue chair et elle tire son nom de cette chair qui est davantage l'objet de son zèle et de sa volonté. Ceux qui se posent ces questions ajoutent : Peut-on trouver un créateur de ces pensées mauvaises qui sont dites la pensée de la chair ou peut-on appeler quelqu'un ainsi ? En effet ils soutiendront qu'il faut croire qu'il n'y a pas d'autre créateur de l'âme et de la chair que Dieu. Si nous disons que c'est le Dieu bon qui, dans sa création elle-même, a créé quelque chose qui lui soit ennemi, cela paraîtra tout à fait absurde. Si donc il est écrit : La sagesse de la chair est ennemie de Dieu et si on dit que cela s'est fait à partir de la création, il semblera que Dieu ait créé une nature qui lui soit ennemie, qui ne puisse être soumise ni à lui ni à sa loi, car on se sera représenté comme un être doué d'âme cette chair dont on parle. Si on accepte cette opinion, en quoi paraît-elle différer de la doctrine de ceux qui se prononcent pour la création de natures différentes d'âmes, destinées par leur nature au salut ou à la perdition ? Seuls des hérétiques pensent ainsi et, parce qu'ils n'arrivent pas à soutenir par des raisonnements conformes à la piété la justice de Dieu, ils inventent des imaginations aussi impies.
Nous avons exposé dans la mesure de nos forces, d'après les tenants des diverses opinions, ce qui peut être dit par manière de discussion sur chacune de ces doctrines : que le lecteur choisisse de cela ce qu'il trouvera plus raisonnable d'accepter. »

Origène, Traité des Principes III, 4, 4-5

dimanche 6 novembre 2016

Jumeau céleste


« C'est lui [le Jumeau céleste] que le Catharisme désigne comme le Spiritus sanctus ou angelicus particulier pour chaque âme, le distinguant avec soin du Spiritus principalis, l'Esprit-Saint qui est celui que l'on invoque en nommant les trois personnes de la Trinité. »
Henry Corbin, L'homme de lumière dans le soufisme iranien, éd. Présence, 1971, p. 44

samedi 5 novembre 2016

Survivance de la gnose


« Sous [des] aspects populaires, les débris de la mythologie gnostique étaient partout présents dans les croyances chrétiennes sous des formes ou ces restes du dualisme ancien perdaient, il est vrai, leur puissance en tournant à la diablerie. »
« [Des] ouvrages classiques de l’alchimie byzantine, prototypes des versions arabes, puis latines, par lesquelles l' « art sacré » gagna l'Occident, attestent le recours à des récrits gnostiques dont certains
logia sont cités. Mais ces emprunts ne portent point directement sur le dualisme religieux des modèles gnostiques : le dualisme primitif s'est estompé lors de ces transferts. »
Jean Doresse, « La gnose », Histoire des religions, Pléiade, vol II, p. 417-421

vendredi 4 novembre 2016

Manichéisme & mazdéisme


« Le manichéisme, […], s'il pousse l'opposition [entre le Dieu bon et le démiurge] à l'extrême, en la durcissant en celle de deux principes radicalement distincts, l'un du Bien, l'autre du Mal, l'interprétera différemment : pour lui, le responsable de la chute, de la catastrophe qui est à l'origine du monde matériel et de la suite des malheurs qu'y subit l'humanité, est bien le « Prince des Ténèbres », mais l'organisation de ce monde où se mêlent éléments bons et éléments mauvais, le pis-aller qu'elle représente, est l’œuvre d'entités émanées du Dieu suprême, et dont l'une porte même, à l'occasion, le nom de « Démiurge ». Sans doute ce gauchissement dans un sens relativement optimiste s'est-il opéré sous l'influence du mazdéisme. »
« Son sauvetage [ de l'Homme Primordial déchu] va être le motif unique de la création du monde ».

Henri-Charles Puech, « Le manichéisme », Histoire des religions, Pléiade, vol II, p. 554-565

« Ohrmazd sait […] que pour réduire à l'impuissance la Contre-Puissance d'Ahriman, il lui faut le Temps, ce Temps limité qu'il crée à l'image du Temps éternel » Henry Corbin, Temps cyclique et gnose ismaélienne, Berg, 1982, p. 18 (À propos du mazdéisme zervanite)

mardi 1 novembre 2016

Parole devenue chair


« Dans plusieurs des livres des disciples de Platon — c’est lui, auteur de mythes célèbres, dont il s’agit —, j’ai lu, non en propres termes, […] "qu’au commencement était la Parole ; que la Parole était en Dieu, et que la Parole était Dieu ; qu’elle était au commencement en Dieu, que tout a été fait par elle et rien sans elle : que ce qui a été fait a vie en elle ; que la vie est la lumière, des hommes, que cette lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l’ont point comprise." Et que l’âme de l’homme, "tout en rendant témoignage de la lumière, n’est pas elle-même la lumière, mais que la Parole de Dieu, Dieu lui-même, est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ;" et "qu’elle était dans le monde, et que le monde a été fait par elle, et que le monde ne l’a point connue. Mais qu’elle soit venu chez elle, que les siens ne l’aient pas reçue, et qu’à ceux qui l’ont reçue elle ait donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu, à ceux-là qui croient en son nom ;" c’est ce que je n’ai pas lu dans ces livres. J’y ai lu encore : "Que la Parole-Dieu est née non de la chair, ni du sang, ni de la volonté de l’homme, ni de la volonté de la chair ; qu’elle est née de Dieu." Mais "que la Parole se soit faite chair, et qu’elle ait habité parmi nous (Jean, I, 1-14)," c’est ce que je n’y ai pas lu. »
Augustin — Confessions, livre VII, ch. 9